goodbye pork pie hat // triple a (ambrose)

TW : homophobie, harcèlement scolaire, VIH, insultes homophobes, violence physique, sexe consenti mais barebacking qui ne l'est pas.

J’ai jamais compris pourquoi on disait que les coccinelles étaient les animaux de Dieu.
J’ai toujours été persuadé que c’était un animal de merde, 3 millimètres, 5 au garot avec ailes déployées si je suis sympa. On les voit jamais, et à la limite, c’était leur seul point commun avec Dieu. C’était tout de même l’insecte le plus pédé du monde.
De mon côté, j’étais sûre que si Dieu avait pu choisir, ç’aurait été un gros papillon, parce que ça vole haut, ça a une trajectoire chaotique, et à l’image de son fils, ça crève dans la fleur de l’âge. Mais nous, on préfère les coccinelles, parce que c’est mignon, parce que c’est rouge.

Papa et maman ont toujours été riches, parce que grand-père et grand-mère l’étaient aussi, et ceux d’en haut aussi. On a hérité d’une fabrique de canapés, et de toute époque, on aimait bien poser son cul sur un canapé. Même moi. De là, j’ai compris que le marché du canapé serait toujours en vogue, d’autant plus avec l’arrivée de la télé. Non loin de là, je voyais un papillon se poser, et je me dis que j’adorerais vendre des canapés, à condition d’avoir des tapisseries à papillon dessus.

J’étais l’enfant unique de la famille, mais en arrivant à l’école, j’ai compris que j’étais pas l’unique enfant de ce monde. J’étais roux, et c’était plutôt un manque de chance. J’étais pas très beau en plus, avec une acné ingrate, un bégaiement franchement pas flatteur.
Mais tranquille.
J’étais pas aimé, et pourtant j’allais et j’allais vers les groupes coucou tu veux être mon ami eh ben non pourquoi
t’es moche
ah d’accord. J’avais treize ans quand j’ai compris que la gueule que j’avais allait me poser un soucis dans la vie. Si je voulais vendre des canapés, fallait que je sois un minimum beau, parce que la beauté, ça fait confiance.  L’autre truc qui donne confiance, c’était les filles. J’ai essayé de tenir par la main Clara, Jessica, Zoé, Summer, Maddison, et même sa sœur jumelle, la tristement célèbre Kelly. Je pensais qu’entre moches, on pourrait se comprendre, mais je compris que la réputation, ça comptait aussi. Papa et maman me ramenait à l’église, où on m’apprenait les pêchés des Hommes, et c’est avec effroi que je voyais que c’est à cause des gens méchants que Jésus avait été planté de clous de partout. IMAGINE. A chaque fois, je regardais des papillons et j’espérais que Dieu était là dedans, au moins il voyait tout ça et il les punirait.

Au lycée, j’ai voulu être quarterback. Quand on fait du football américain, on est pas obligés de voir sa gueule, parce qu’elle est mise en prison derrière une grille. On va pas se mentir, ça m’allait bien. J’ai jamais compris les règles du football,
parce que je pensais que le ballon était fait de cuir et non de chair.
C’est en heurtant trois fois le terrain que j’ai compris que je deviendrais jamais quarterback, parce que je comprenais pas les règles. Je suis rentré avec la galaxie sur les côtes, et les lèvres gonflées par la violence, à défaut d’être gonflées par des baisers.
Le lycée, j’ai pas compris les règles dans leur intégralité. J’étais plutôt bon élève, je travaillais parce que sinon papa me criait dessus, puis maman, puis j’allais dans ma chambre. Je voyais les gens se faire des groupes d’amis, et j’essayais de comprendre. Ils se disaient salut, donc j’allais vers les gens salut salut ça va toi on se connaît pas eh ben si on se connaît non eh bah tant pis. J’essayais de faire le dur, des fois de crier en classe, mais ça allait pas. J’allais le dimanche à l’église, là où au moins, Dieu était mon pote privé, parce qu’il avait tout crée là où je faisais rien. Il me disait de détester les filles, l’avortement, la musique satanique, alors ok je le faisais, parce que lui au moins il était là. Rapidement, j’ai essayé de me faire des amis à la chorale, mais pareil ça marchait pas trop.
« t’as une copine ?
- euh … ouais
- c’est qui ?
- tu la connais pas
- menteur
- si »
J’ai jamais rien fais, mais pour les autres, je présentais comme un sacré baiseur de meufs fantômes. Hors de question que je passe pour un sale pédé.
Au lycée, on me volait mon sac, je crois les gens sont pauvres et je suis riche donc c’est pour ça sûrement. Je donnais de l’argent alors, mais on demandait plus, et mes parents commencèrent à m’engueuler très fort mais.
Tu dis comment que le lycée, il t’aime pas ?
J’ai commencé à être énervé et à devenir méchant. J’insultais les filles, parce qu’elles étaient débiles. Parmi les mecs, j’avais commencé à pouvoir me faire quelques amitiés, parce que j’allais fracasser des gens dans la rue.
Je crois que c’était ciblé. Parce qu’ils étaient pédés. J’y ai pris goût. Dieu les aime pas. Dieu a raison. Donc il y a une raison à tout ça. Je me sentais pas mal pour eux. C’était bien fait. Ils avaient qu’à changer.
« retourne te faire enculer dans ton bled »
Là, ça rigolait chez les mecs, et je souriais en brandissant fièrement la fin de mon innocence.
J’ai commencé à élever des chenilles, parce qu’elles étaient trop moches mais qu’elles pouvaient se dire qu’avec leurs ailes, elles volaient trop haut pour se faire attraper. Mon point commun avec elle, c’est que j’étais tout boursouflé du visage et des côtes comme elles, mais moi, c’était pour plus longtemps.

J’ai essayé une fois d’être bad boy.
J’étais invité à une soirée. Je m’étais fais joli, du moins j’avais essayé. A la soirée, j’ai bu (du vin, rouge, comme à la messe, Dieu regarde, sinon il aurait mis de la pluie, et y a pas eu de pluie). Pas mal. Je comprenais pas qu’un monde flou existait. J’avais l’impression d’être un caméraman qui filmait au ralenti ma propre vie, à me faire plein de films, pourtant je réalisais rien.
« tu t’appelles comment ?
- aaAAAH ???
- c’est quoi ton nom ?
- ah euh … Ambrose et toi ?
- Josh. »
Je l’avais jamais vu traîner avec ma bande. Jamais on s’était trop parlés, parce qu’il venait pas aux purges entre mecs. En une soirée, on a beaucoup papoté, et franchement, c’était chouette parce qu’il était gentil. On a d’autres fêtes, et à chaque fois, on buvait beaucoup et on finissait par dormir ensemble entre amis.
Il avait réinventé les papillons.

A une soirée, j’ai crié fort « je suis pas un pédé ! » quand il a essayé de m’embrasser. J’ai soupiré fort aussi pendant qu’il l’a fait. Et j’ai agrippé fort le col de sa chemise quand il a essayé de se barrer. J’étais devenue un putain de yoyo humain, allez hop tu pars, eh non tu reviens. J’ai espéré que Dieu voit rien, donc j’ai mis la couette sur nous quand on est allés se coucher. A l’époque, je comprenais pas que y avait des trucs pour se protéger le zizi. Mes parents m’en parlaient pas. La paroisse non plus. Mais on était pas vraiment … Vous savez … Parce que finalement c’était pas lui un homme c’était Josh, t’as vu, donc c’était pas vraiment … gay. J’ai vu Josh se marrer toute la nuit, mais moi j’étais là et j’avais juste envie de le griffer fort dans le dos, si fort qu’il aurait ma marque toute sa vie, et qu’au moins j’aurai plus à voir sa gueule de gros pédé pour qu’on soit liés.
J’hésitais entre l’étouffer sous mon coussin ou m’étouffer dans la honte.
Le lendemain, il s’est levé, main sur ma fesse, et je l’ai vu se lever précipitamment pour aller rejoindre les autres. Sur la table de chevet, il avait écrit « bonne chance pour ton dépistage. » Si j’étais tombé du lit, la sensation aurait été la même.

Je me suis rappelé qu’on disait que les papillons vivaient trois jours, et la seule chose positive que j’ai tiré de cette affaire était le résultat du test de séropositivité.

Il fallait trouver un moyen de le cacher. Non c’est pas ma faute, aïe ouïlle. Si j’étais pédé, jamais ma famille ne voudrait que j’habite chez eux, et pourtant je tenais à mon père et à ma mère. J’ai imaginé aller me piquer le bras dans un coin de tox, « oh non c’est pas le virus pédé c’est le virus de l’héroïne ». En toute évidence, je pouvais pas me résoudre à tenir un connard de tox, parce que jamais je pourrais vendre de canapés. Puis, apparemment, on avait des trous dans la tête quand on en prenait, et j’en avais déjà suffisamment au niveau de mes dents et de mon coeur cassés.

« ouais, on se donne rendez-vous devant le cimetière ? Celui devant la paroisse ? »
Un soir, j’avais une seule solution : c’était me prendre un mur, un vrai, pour une fois. Aux infos, à la télé, on disait que y avait une grosse crise à l’hôpital depuis trois ans, où plein de malades recevaient du sang malade.
C’était tant mieux.
Il fallait que je finisse à l’hôpital, que je me fasse transfuser. Pour ça, il fallait que je fonce dans un mur.
J’ai donc pris la voiture de mon père. J’ai pris le volant. Je devenais liquide, je transpirais, j’avais peur, je veux pas mourir. L’instant où j’ai percuté le mur du cimetière était quelque chose d’étrange. J’aurai voulu vérifier avant s’il était possible de vomir son propre coeur tellement le mien était au bout de mes lèvres. Je le sentais dans la gorge, dans mon palais, j’allais mourir avant de stress, parce que décidément, je voulais pas mourir.
Je me suis réveillé avec le visage de ma mère, penché au dessus du mien, et je me suis senti aimé. Je sentais le fer. Je sentais l’humidité. J’avais les doigts rouges, que j’ai porté à ma bouche. Je goûtais le sida, et ça avait un goût de merde. Si mon sang dégueulasse aurait pu se vider sur la banquette avant en cuir de la voiture niquée de mon père, ç’aurait été avec plaisir, tant qu’on me remettait du joli sang à la place.

A l’hôpital, j’étais bien. Parce que j’avais rien à faire, et j’ai découvert que j’étais un branleur inconditionnel. Je pouvais parler mal, insulter les infirmières, et rien n’allait me tomber dessus, parce que j’étais riche, j’étais un homme, j’étais blanc. Mon coup de poker fut l’annonce du VIH, où à défaut d’avoir un bon jeu d’acteur, j’ai su me convaincre que c’était la stricte vérité. Jamais Josh n’avait tué aucun papillon en moi, et j’étais juste une pauvre victime de cette triste affaire de sang contaminé qui allait secouer les hôpitaux pendant cinq longues années. J’ai joué à l’hôpital, mes parents voulurent porter plainte. Rien n’allait très loin, car l’hôpital était une institution protégée. J’avais détruis la vie du personnel médical pour sauver la mienne, sans rancune.

Aujourd’hui, j’ai emménagé enfin seul, loin de mes parents, parce que ma maladie devenait honteuse pour eux. Elle ne l’était pas autant que pour moi. J’étudie la biologie, parce que y a pas de papillons dans la vente de canapés. Je fréquente l’église et les enseignements de Dieu, et j’espère un jour qu’un Miracle me tombe dessus pour racheter mon pêché. En attendant, je traîne avec des bandes d’extrême droite conservatrice, espérant tracter à notre façon quelques pêcheurs.

((je vais la réecrire un moment, mais au moins vous avez un aperçu !!!))