something very strange in these old woods. (ambrose)

something very strange in these old woods.
@Ambrose Atkins + @Frances Patterson

La forêt s'anime de ses bruits, les branches craquent sous les pas des mulots et des renards qui quittent leurs abris à la faveur de la lumière décroissante du crépuscule. Les odeurs d'humus et d'épines de pins en décomposition se confondent lorsque l'on avance sur le sol humide et moelleux, suffisamment pour accueillir les pas comme le ferait un duvet, pas assez pour voir ses semelles s'enfoncer dans une boue saumâtre. C'est le moment que Fran préfère, quand la nuit tombe sur la vallée et enveloppe les bois de sa brume diffuse, et c'est naturellement le moment qu'elle a choisi pour y faire une rapide excursion.

Depuis la tempête, survenue quelques jours plus tôt, elle a repéré des branchages tombés et des troncs brisés, entravant le passage sur les sentiers bordant la propriété des Patterson. Elle aurait pu solliciter ses frères, moins occupés qu'elle à la scierie, mais elle s'est bien gardée de les en informer ; elle a décidé que c'était sa mission, à elle et à elle seule. Le bureau la rend parfois morose (disons plutôt, plus qu'elle ne l'est d'ordinaire) et Fran prend plaisir à ces longues marches solitaires, accompagnée uniquement d'une tronçonneuse et de son ronflement métallique. Malgré une carrure chétive, elle n'éprouve aucune peine à cet effort, auquel elle est entraînée depuis bien longtemps. Elle a toujours accordé une importance particulière à l'entretien du domaine sylvestre, ces bois qu'elle aime plus que n'importe quelle compagnie de son espèce. Fran a grandi avec eux, pour eux ; c'est donc naturellement qu'elle s'obstine à en prendre un soin démesuré.

La voilà donc en train d'arpenter le secteur, à la recherche desdits arbres morts. Elle finit par repérer un tronc vacillant, partiellement fendu en sa base par des coups de vent trop violents. Avant d'enfoncer la chaîne dans le bois, elle jette un coup d’œil aux alentours. Un peu plus loin, une silhouette. Fran fronce les sourcils : elle n'aime pas voir des visiteurs si proches de son terrain. Elle identifie le gamin Atkins et sa tignasse rousse et mal coiffée. Un drôle de gus, pour sûr, mais les affaires étant les affaires, elle ne peut se permettre de risquer de l'égratigner. « Hé toi ! » elle crie à son attention, avant de poursuivre : « Tu veux bien bouger ? Y'en a qui bossent, ici. »

acid tracks, phuture

Souvent, je me demandais ce qui me poussait à rester dans ce trou de Stevenson. Quand à l’université, on a étudié le pétrole, la consistance du matériau m’a fait pensé à ma ville : poisseuse, noire, liquide, collante. Depuis, cette image est gravée dans mon esprit, et j’ai parfois peur que mes chaussures restent collées au sol quand j’avance dans la forêt.
A Stevenson, on trouvait plein de papillons qu’on trouvait nulle part ailleurs. Si je voulais partir, pour sûr que je le pouvais, j’avais l’argent et le soutien familial qui me croyait sympathique et bon américain. J’avais de bonnes notes à l’école, et c’était assez évident que je pouvais bouger dans des universités plus prestigieuses.
Prospecter à la recherche de faune et de flore à New York, non merci. Même si les lumières de la ville m’attiraient, je pouvais pas me résoudre à abandonner Dieu. A Stevenson, Dieu se trouvait dans la forêt, et ça, c’était impossible de passer outre.

En pèlerinage, j’allais donc chercher les larves, les moindres insectes et le quelconque humus que je pouvais trouver intéressant dans cette forêt. J’y allais souvent, ça, c’était sûr. J’y passais même la majorité de mon temps. Des fois, j’avais peur. Les gens à Stevenson y viennent souvent pour se retrouver seuls. J’avais l’impression que la forêt était une entité divine. Peu importe si tout Stevenson venait, jamais je ne croisais personne. De temps en temps, je croisais des illuminées à moitié nues qui célébraient des fêtes bizarres avec des O et des Ra dans le mot. De temps en temps, quelques chasseurs, parce qu’à croire que mon corps tout bizarre ressemblait à celui d’un beau cerf (si seulement …). Pourtant, c’était rare, parce que j’avais l’impression qu’un voile d’invisibilité se mettait sur ma gueule quand j’y rentrais. Je croyais fort en Dieu, je priais beaucoup pour lui, c’était peut-être évident que je me retrouve protégé d’autrui quand même. Je le savais timide, mais pas ingrat.

Crapahutant dans les buissons, j’avais toujours une sale tête quand je cherchais des choses. Mes cheveux roux étaient plein de terre et de branches par-ci par-là. Tant que je déchirais pas mes fringues, ça m’allait. J’avais pris un k-way avec des couleurs douteuses sur le dos, afin de me protéger de la pluie au cas où, et mon jean était vaguement troué, parce que je mettais jamais mes belles affaires quand j’allais me dégueulasser dans la forêt. Pas bête, la guêpe.
Cette fois, j’avais trouvé quelques endroits où j’avais jamais été, et je voyais plein d’espèces d’arbres que j’avais jamais vu. Aux anges, je me jetais comme un démené pour choper des feuilles : j’allais être une star auprès des copains de l’université sûrement !!!

« Hé toi ! Tu veux bien bouger ? Y’en a qui bossent, ici. »

Je tourne la tête brutalement. C’était la frangine Patterson. De ce que mes parents disaient, c’était une sacrée famille, et on achetait souvent leur bois pour nos canapés et nos fauteuils. Je me demande ce qu’on aimerait que je fasse à ce moment précis. Je peux dégager et …
Eh. Les arbres. Quand même. Y avait plein d’insectes que j’avais jamais vu, hors de question de dégager pour une gonzesse qui se prend pour un de ses frères. Qu’elle aille régler ses daddy issues et qu’elle me foute la paix.

« Y’eN a qUi boSSeNt, ICi. » je reprends en singeant sa voix.

Je hausse les épaules, prend mon sac, sort mon casque et mon walkman pour écouter Phuture. C’était un gars à la mode qui faisait de la musique qui tapait toujours très fort dans un rythme obstinant. Quand j’étais dans la forêt, j’aimais bien écouter ça, parce que je pouvais marcher au rythme du beat.
Je regarde pas la gardienne de la forêt, et je décide de continuer ma routine en me dandinant. Je fais attention cependant à ne pas faire de bruit, et c’est avec la loupe collée à mon œil que je cherche des monarques et autres vice-roi, histoire de me sentir un peu proche d’eux.

Elle aurait pu partir, Frances, aller un peu plus loin, trouver un autre tronc à couper, puisque c'est là son désir premier. Elle aurait pu se taire, ne pas réagir à la provocation. D'ailleurs, c'est sûrement ce que l'on aurait attendu d'elle. La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe, répétait sa mère en guise de remontrance quand la gamine avait encore usé de ses poings, mais elle ignorait que de blanche colombe, il n'y avait point. Et plus elle le disait, plus Frances se faisait bagarreuse, titillant ses frères jusqu'à s'épuiser de leurs bleus. A eux, pourtant, la matriarche n'a jamais rien dit. Elle a vite compris ce que cette dernière essayait de faire d'elle, la jolie petite poupée sage, mais sa seule fille préférait les empoignades et les genoux boueux ; il faudrait s'y résoudre.

Elle le regarde, inébranlable, se trémoussant alors que la loupe collée au plus près de son visage agrandit son œil à outrance. Avec son gros iris bleu vif en plein milieu de la face, on dirait un cyclope stupide, elle pense, ou un insecte qui aurait pris forme humaine. Fran croise les bras sous sa poitrine, espérant qu'il arrêtera son cirque avant qu'elle ait à l'interrompre. Elle préférerait entretenir des relations cordiales avec les Atkins, qui sont parmi les premiers clients de la scierie ; mais s'il insiste, elle devra agir. C'est qu'il n'a pas l'air décidé à bouger, le bouffon.

Soupir. Frances finit par s'approcher de lui. Elle empoigne son casque et le lui retire d'un coup sec. Les basses leur parviennent encore, battant le rythme à l'excès. « Coupe ça, putain. » Elle lâche en un râle exaspéré, en lui fourrant le casque entre les mains. Comme s'il n'était pas suffisant qu'elle doive gérer sa présence, elle devrait, en plus supporter sa musique ? « Franchement, qu'est-ce que t'as besoin de squatter cet arbre, tu vois pas qu'il y a toute une putain de forêt là ? » Poursuit-elle, peu encline à la concession. Et puis, c'est pas un moucheron comme celui-là qui l'empêchera d'atteindre ses objectifs du jour, quand bien même elle doit lui faire tomber le tronc dessus.

Je me protège dans la tête quand elle me prend mon casque. A l’école, on disait de pas frapper ceux avec des lunettes. J’ignorais encore les règles du monde adulte, me sentant pas encore de ceux-là, et peut-être qu’on ne frappait pas ceux avec un casque. C’est sûrement pour ça qu’on préconise les casques de protection, peut-être. Elle continue de me parler, mais c’est réellement dommage pour elle que je m’en fiche. Je vois des mantes religieuses dans le tronc, et ce n’est pas une tronçonneuse qui me détournera de ma quête.

« Mais je squatte pas, t’es débile toi un peu ... » je dis en marmonnant dans ma barbe fantôme.

Je me dis qu’elle pourrait réellement s’intéresser à la sexualité des mantes religieuses, ou bien à l’existence des différentes espèces d’insectes qui grouillent dans cet arbre. Elle coupait leur maison, il fallait bien rencontrer les habitants à défaut d’entrer chez eux sans frapper à leur porte. Mon casque joue toujours de la musique, j’entends les basses. C’était un référentiel que j’appréciais. Tant qu’elles étaient là, à taper le rythme de mon coeur, je me sentais relaxé et plus calme face à mes inspections. La sœur Patterson pourrait me refaire le visage à sa guise comme elle le voulait. Dommage, l’idée d’une chirurgie esthétique faite main ne me tentait pas. J’aimerai changer de visage, mais j’ai peur de ressembler à un tronc après si elle s’en charge.
Je me baisse vers la base de l’arbre. Pour être honnête, la forêt de Stevenson était suffisamment vaste pour que je me fiche de l’avenir de chaque arbre. Qu’elle coupe celui-ci ou un autre m’était égal. Néanmoins, on disait bel et bien que les enfants avaient un sale esprit de contradiction. J’étais ravi d’apprendre qu’à 22 ans, j’étais encore un des leurs. Je me mets en tête de trouver l’insecte le plus stylax de la forêt pour qu’elle aille jeter son dévolu sur un autre arbre. Je décrète que celui-ci est mien.

« Eh regarde. »

J’arrive à chopper une luciole. J’aime bien les lucioles, parce qu’elles sont laides et font de la lumière. Je la prends sur mon doigt pour lui montrer.

« On a pas de bol, parce que c’est le jour, mais c’est une luciole ! C’est de plus en plus rare en plus, et y en a plein dans cet arbre. La nuit, elle fait masse de lumière... »

Pour ken un max, je me dis. Mauvaise idée de présenter la luciole comme un insecte lubrique. Surtout que parfois, c’était aussi pour éviter de se faire emmerder par un prédateur quelconque. Finalement, les lucioles étaient sûrement le symbole des gars de mon ancien lycée. Ils utilisaient les mêmes armes pour baiser et me casser la gueule. Je regarde la luciole sur mon doigt et d’un coup, je me sens moins proche d’elle. Je me dis qu’au moins, elle est moche.

« Et y a plein d’autres larves et d’insectes, vraiment … J’en ai besoin, faut que j’en capture quelques unes pour la fac. »

Je fronce les sourcils. Même si c’est une sale excuse, je dis rien de faux.

« Tu t’es déjà coupée avec ta tronçonneuse ? J’aurai trop peur de me couper une jambe en la transportant. »

Qu’est-ce que je branle, moi. Cela dit, je suis sincère. Je me sais maladroit, et l’idée même de devenir cul-de-jatte à cause d’un outil pareil me rend plus blafard. Finalement, on revenait aux hommes-tronc, et je me dis qu’à force de traîner dans cette forêt, je finirais peut-être par me transformer en arbre.

Fran voit bien qu'il n'écoute pas, trop occupé à coller ses yeux au plus près du tronc. Elle le regarde, impassible, tandis que ses nerfs - et sa patience - sont mis à rude épreuve. Qu'il ne veuille lui accorder une oreille bienveillante, passe encore. Mais qu'il n'obtempère pas et reste en plein dans son passage, en voilà une autre. Il y a bien la possibilité de le faire bouger par la force, mais rendre un gosse écorché à la famille Atkins ne serait de bonne augure pour le commerce à venir. Elle a suffisamment de bois à écouler depuis la tempête pour avoir besoin de tous ses clients, et il s'avère que, bien malheureusement, les parents du mioche en font partie. Il en devient intouchable, comme une espèce d'immunité. Frances n'a pas franchement l'habitude d'être ainsi mise en difficulté, et encore moins par un gus tout juste sorti de l'adolescence. Comme eux, il a le regard encore farouche, celui de ceux qui se pensent au-dessus de tout. C'est bien simple, elle déteste ces êtres entre deux eaux, suffisamment âgés pour conduire, pas assez pour boire. Tout ça n'a aucun sens, elle pense, alors qu'elle le regarde continuer de s'affairer comme si elle n'était pas là.

Le voilà qui lui tend un insecte. Fran se demande si cet enfant est bien tout à fait sain d'esprit, car il n'a manifestement pas eu le mémo concernant la vie d'adulte, celle dans laquelle on ne passe pas son après-midi à gratter la terre et les écorces à la recherche d'une créature prétendument lumineuse, qui a pourtant tout l'air d'un cafard. « S'il y en a plein d'autres, partout, ailleurs, je peux savoir ce que tu fous encore là ? » Elle lui demande sans se départir de son sérieux. Si Fran aime la forêt, c'est pour sa solitude ; pas pour tous les rampants et les nuisibles qui y vivent, jeunes étudiants compris.

Malgré tout, elle s'approche, et jette un coup d’œil à l'insecte qui évolue au bout d'un doigt aussi pâle qu'il est maigre. Elle relève un regard blasé vers Ambrose. « Elle est moche ta bestiole, en plus. » Réplique Fran qui, le temps de cette phrase, se sent elle aussi revenir en enfance, quand la laideur était l'insulte suprême. « Ils sont aussi bizarres que toi, dans ta fac, ou quoi ? » qu'elle lâche sans y mettre plus de formes.

« Ben, bien sûr que non. C'est pas si difficile, franchement, y'a que dans les films d'horreur qu'on se tranche à la tronçonneuse. » Elle réplique, avec cependant une pensée pour ce grand-oncle dont on racontait qu'il s'était coupé la main à l'aide du terrible outil. Mais Fran, elle, elle n'a pas peur : elle aime le ronflement de l'appareil, et regarder les arbres tomber.

Je reste planté là. Elle me demande de me justifier, mais rengaine habituelle, peut-être qu’à monter les épaules au ciel, je deviendrais plus grand qu’elle et qu’elle aura peur de moi. Je me dis qu’avec quatre ou cinq mètres de plus, je pourrais être un Godzilla, quelque chose de suffisamment terrifiant pour qu’elle me laisse tranquille avec mes insectes. Malheureusement, c’est pas le cas, et je reste planté là, avec ma luciole dans la main. On se moque d’elle, parce qu’elle est moche. On dit qu’elle traîne à n’importe quel rondin, qu’elle peut se balader n’importe où. Finalement, ma luciole est une fille de joie, à vendre ses petites ailes à l’arbre le plus méritant.

« C’est toi la moche, en plus t’es bête. »

Elle était bête parce qu’elle ne comprenait pas que cette souche était particulièrement humide, ce qui rendait les lucioles heureuses d’habiter ici. Je me sens tel un militant écologiste en train de défendre une ZAD. Il me manquait plus qu’à acheter des sandales et apprendre à jouer Kumbaya à la guitare pour avoir la street cred. Elle me pose des questions sur l’université, et je me mords la langue quand elle tourne sept fois dans ma bouche. Heureusement, parce que j’allais lui sortir que non, et que ça prouvait qu’elle n’avait pas du y aller souvent. J’étale mon mépris de classe, que j’utilise en porte étendard de la méritocratie. Je me sortais comme excuse qu’elle avait l’argent. Je savais l’université payante et chère, mais tout de même : La scierie fonctionnait bien.
Elle me parle de sa tronçonneuse. Je me mets un peu à rire.

« Souvent ça se passe dans une forêt en plus ... » je souris, un peu amusé, un peu flippé. « Je devrais peut-être me mettre à trembler ... »

Mains dans les poches, je m’en vais explorer la souche, et c’est avec beaucoup de joie que j’observe une véritable colonie de lucioles. Je pense à tous mes camarades de fac, ils me prenaient pour un bon-à-rien, ils allaient enfin fermer leur gueule en voyant ce que j’avais découvert. Je deviens un peu amer en imaginant le nombre d’insectes virés de leur arbre à coup de tronçonneuse. Je me dis que je deviendrais fabriquant de cocktail Molotov si on m’expulsait de la sorte.

« … Qui sait ce que tu pourrais faire pour déloger une colonie de lucioles. »

En mon for intérieur, quelque chose apprécie la provoquer. Je sais pas. Peut-être que j’aime bien la sensation de danger. Je me dis que de toute manière, si elle me tranchait la main, j’avais des bombes nucléaires dans mes globules rouges. J’étais une sorte de super-héros avec un pouvoir nul.

J’étais quelque chose, au moins.

Un instant on se serait cru revenu dans la cour de l'école maternelle de Stevenson. Là, tout juste capables de parler, on s'insultait tant bien que mal, travaillant à sa répartie comme une grande préparation au monde du dehors. On se jetait du sable humide au visage, aussi, quand les mots ne suffisaient plus. Plus tard, ce geste dédié autant à l'humiliation de l'autre qu'à l'expression de sa propre frustration, prend bien d'autres formes plus perfides. Frances, elle, n'a jamais été dotée d'un sens du verbe à toute épreuve. On pourrait croire pourtant qu'une vie de fratrie l'y aurait entraînée, mais les mots, à leur façon insidieuse d'en dire plus que leur simple signifié, ont cette étrange manière de la mettre mal à l'aise. Et puis, chez les Patterson, on ne se perd pas en belles phrases. Alors elle a très vite appris à répliquer autrement ; seulement, avec le gamin Atkins, elle ne peut pas (d'autant qu'elle tient toujours une tronçonneuse dans les mains, et même si l'on en plaisante à l'heure présente, elle ne sait que trop bien qu'un accident est vite arrivé.)
Fran le regarde donc, silencieuse, offrant pour toute réponse des sourcils désapprobateurs sans parvenir à trouver d'injure en retour. « Si tu le dis, » elle finit par lâcher, et elle hausse les épaules.

Il passe à autre chose, et elle en est presque soulagée - mais il ne faudrait pas qu'il le voie. Il daigne à peine lever le nez de sa souche quand elle lui parle, et ça, ça a le mérite de l'agacer. Le gamin la pousse à bout, Fran. Elle se contient, pourtant il n'y a bien que le nom de famille du bonhomme qui l'empêche de lui faire comprendre, une fois pour toute, qu'il n'est pas le bienvenu.

« Qui sait ce que je ferais pour te déloger toi, ouais. » qu'elle marmonne du bout des lèvres en s'éloignant, suivant la clôture un peu plus loin. Elle le fait plus pour elle-même qu'à son intention (mais elle espère secrètement qu'il l'ait entendue, et que ça lui foute suffisamment les chocottes pour bouger pour de bon). Fran repère un autre tronc mort, parmi ceux qu'elle avait repéré. Elle s'apprête à enfoncer son casque de protection sur ses oreilles et à lancer l'appareil, quand elle se ravise, ne résistant pas à une petite provocation. « C'est bon celui-là je peux le couper ? » Elle lui crie au loin. Elle se sent comme une gamine qui aurait eu le dernier mot - espérant cependant qu'il n'ose pas venir vérifier par lui-même.

J’ai jamais aimé qu’on me réponde pas. Surtout quand je parlais pour provoquer. Ce qui m’agace encore plus, c’est de m’énerver. J’avais cette sale impression de donner raison à mes parents quand ils m’éduquaient à répondre aux imbéciles par le silence. La vague sensation d’être à mon tour l’idiot me dérangeait.
Je devais sûrement sur-interprété. En retournant le problème dans tous les sens, ça me paraissait gonflé qu’elle me trouve stupide. Je venais de lui montrer une luciole, tout de même. J’étais persuadé de lui avoir démontrer ma supériorité intellectuelle.

Soucis résolu, elle décalait autre part. Il ne m’a fallu qu’une seconde pour dire ouf, et tout en soufflant, me voici le nez dans la souche en train de prendre des spécimens dans des bocaux. Il ne fallait pas que je tarde, j’avais aucune envie d’avoir épargner les lucioles d’une mort à la tronçonneuse pour les préparer à une asphyxie.

« C'est bon celui-là je peux le couper ?
- Attends quoi ? » je gueule.

J’hurle et panique. Je me retourne sur moi-même et bientôt, je deviens cousin de la gamine de l’Exorciste. J’serais pas étonné si on me disait que j’étais arrivé en courant sur mes mains et mes pieds à l’envers vers la garde forestière. Sur le chemin, je me casse (un peu) la gueule. Avec des feuilles et de l’humus dans les cheveux, je déboule sur la scène de crime. Je râle déjà, et je me sens tel un gosse à me secouer de partout.

« Employez des gens compétents pour vérifier si vous êtes pas capables de le faire, bon sang ... » je lâche en grognant.

J’espérais m’assurer un métier avec cette remarque, loin d’imaginer qu’elle était déplacée pour la plupart des habitants de Stevenson. La souche pointée par la sœur Patterson grouillait déjà moins. Mon coeur se relâche. Rien de bien grave. J’y voyais surtout des fourmis, des punaises. J’avais moins d’affection pour les travailleurs et puants défensifs. Au fond de moi, je crevais d’envie de poser mon veto et d’abuser de ce pouvoir de la très fameuse science. Je me demandais combien de temps elle allait tenir, petite brindille avec sa grosse tronçonneuse. Je la pensais patiente. Elle se rapprochait plus du rocher que de la verdure : du genre à nécessiter un grand coup de pied pour qu’elle dégage qu’à se faire marcher dessus.
Je baisse les yeux vers son arme. Je déglutis. J’aimais bien le fait d’avoir deux mains et deux pieds. Je me connaissais pas encore des propriétés de régénérescence corporelle.

« … Rien à signaler. » je dis froidement.

Coups de rasoir sur les commissures, j’aurai peut-être du ne rien dire et la laisser dans l’ignorance. Mauvaise idée, les barbares se foutaient d’être des envahisseurs. Je soupire et me pose non plus, prêt à observer le spectacle. Mon sac glisse sur mes genoux tandis que je prends le nécessaire pour me rouler une clope. Je le cache, mais la terre cache mes joues rouges sous la peur. J’étais pas du genre anxieux, mais je m’étais figuré victime d’un mauvais remake de Massacre à la Tronçonneuse pour un instant.

« Je t’en roule une ? »

Je pourrais peut-être lui voler sa putain de tronçonneuse et me barrer en courant avec. Pas de risques de me faire tuer avec ça, et je serais le digne sauveur des insectes de cette forêt.

Le voilà qui accourt, yeux écarquillés, visage déformé par un air effaré, et au fond ça la satisfait presque de voir qu'en quelques mots seulement, elle a réussi à sonner l'alerte. C'est une chose étrange que le pouvoir : tant que l'on n'en a pas, il importe peu, mais la moindre petite miette obtenue réveille des instincts parfois bien enfouis. Frances surprend cette chaleur discrète qui vient se loger en elle, dans son cœur que le début de conflit a fait battre plus vite - une pointe de satisfaction, car il n'y a pas de petites victoires.

Il se livre, sous le regard perplexe de Fran, à une minutieuse observation de la souche grouillante de vie. Elle, tronçonneuse posée à terre, a calé ses deux mains sur ses hanches, en attente d'un verdict qu'elle espère positif. Non pas qu'elle s'en préoccupe vraiment ; mais un avis contraire de la part du fils Atkins ne serait qu'une parfaite illustration du principe de l'arroseuse arrosée, qu'elle ne tenait pas à explorer ici, et encore moins en sa compagnie. Ce serait comme perdre la face, une seconde fois. Après avoir abandonné un premier tronc, elle n'en cèderait pas un second.

« … Rien à signaler. » Finit-il par lâcher. Silencieuse, elle acquiesce, comme un remerciement qui ne lui est pourtant nullement dû. Le gus s'installe, manifestement décidé à assister au spectacle. Elle évalue sa position, celle d'Ambrose, et conclut qu'il ne pose pas souci. Soit. Fran attrape la tronçonneuse, l'allume, déclenchant immédiatement un bourdonnement métallique qui résonne d'autant plus dans le silence de la forêt. Dans un geste prudent mais habitué, elle s'attaque au bout de bois abîmé. En un craquement, l'arbre vient s'effondrer au sol, s'écrasant dans un bruit sourd, amorti par la terre humide jonchée d'épines de pin en décomposition. En voilà un, note Frances, considérant un instant l'effort dispensé pour parvenir - partiellement - à ses fins.

Elle se retourne vers lui, triomphante (mais se gardant bien de trop le montrer). Le visage d'abord enfoui dans son sac, il émerge en proposant une cigarette. « Ouais, ok, » elle lâche simplement en allant à sa rencontre. Fran ne fume pourtant que peu, contrairement au reste de la famille. Son côté légèrement plus discipliné qu'eux, sûrement ; les récentes campagnes contre le tabac ont fait son effet sur elle, mais ça ne l'empêche pas de s'en griller une de temps en temps.

Approchant d'Ambrose, elle vient s'asseoir à ses côtés. « Pas trop traumatisé ? » Lui lance-t-elle avec un (rare) sourire en coin, s'amusant finalement presque de ce jeu de bac à sable.

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» 1 cierge -- ambrose
» goodbye pork pie hat // triple a (ambrose)