in the hall of the mountain king (pv ephraïm)

Spoiler:

Stevenson regroupait tout ce qu’un adolescent et un jeune adulte avait besoin.
On avait les cinémas, on avait les églises, on avait ces magasins beaucoup trop lumineux avec de jolies jeunes femmes prêtes à vous renseigner, on avait même des lacs, des montagnes, et surtout, on avait une grotte.
Dans ma jeunesse, j’ai toujours eu peur d’y aller. On disait qu’il y avait des chauve-souris. C’était dans un espoir de rédemption que j’espérais aller vaincre ma peur et trouver de l’eau à l’intérieur. L’idée d’une grotte mixée à un lac souterrain faisait frémir mon âme de biologiste. Apparemment, on y trouvait de la végétation tout à fait particulière, et si il faisait suffisamment froid dans les tréfonds de l’antre, je cultivais l’espoir de croiser quelques axolotls. Ne vous moquez pas. Depuis plusieurs jours, j’avais préparé dans mon bureau un aquarium spécialement pour eux. J’avais fais l’adaptation de l’eau, vérifié la température chaque jour. L’idée d’aller crapahuter avec de l’équipement et un casque m’excitait plus que jamais. L’idée de le faire seul m’enchantait moins. Je m’imaginais déjà tombé au fond de la grotte, tous les os du corps brisés, sans que personne ne le sache, destiné à mourir, ridicule, dans l’ignorance générale.
C’était bien entendu hors de question.

Je traînais souvent à l’Église. C’était ma seconde maison. Il y faisait meilleur, puis on y croisait du monde. Enfin. D’autres personnes que des chenilles.
Je croise Ephraïm. C’était plutôt évident. Il n’avait aucune raison d’être autre part qu’ici. S’il m’annonçait qu’il avait son lit caché dans un recoin de l’église, rien ne m’étonnerait. Je lui parle de mon projet d’aventure. Je lui vends ça comme une expérience spirituelle incroyable, quelque chose pour ouvrir nos esprits, pour contempler la beauté du divin. Je mens qu’à moitié. C’était une de mes motivations. En revanche, je lui cache le danger.

C’est ainsi qu’on s’est retrouvés ici, dans cette grotte. On avait l’équipement, je vous rassure. J’avais été à la boutique du coin. Beaucoup faisait de la spéléologique, forcément. Mousquetons, casques avec lampe intégré, gilets, baudriers. Si j’ignorais dans quoi je m’embarquais, le matériel avait cette douce odeur d’aventure, et j’aimais un peu trop Indiana Jones pour ne pas vouloir l’imiter.

« Je te promets que ça va être l’aventure de notre vie et que ça va bien se passer ! Regarde, on est équipés, qu’est-ce que qui peut nous arriver de mal ? » je lance d’un air serein.

Je prends une posture détendue, parce que je crois vraiment que mon idée, elle est bien. Au cas où, j’ai pris ces dispositifs de secours que je garde dans mon petit sac à dos, où j’ai rangé le nécessaire de survie. J’y ai pris des sandwichs, une tente au cas où, et des cordes. A l’université, on avait eu quelques cours pour aller chopper des espèces souterraines. J'ignore encore comment j'ai pu enrôler le fils du pasteur dans mes conneries, mais j'espère le ramener vivant auprès de son père quand même. L'idée d'être exclu de l'Eglise m'enchante pas vraiment.
Au pire, je m’enverrai en Enfer et petit Jésus qu’il est, il montera au Paradis rejoindre Dieu, et tout le monde sera content.

Je fouille un peu dans mes souvenirs. J’ai conscience que si on crève, je serais la responsable et du coup, j’allais aller en Enfer. Je me disais que j’avais déjà suffisamment vécu de merdes sur Terre pour aller me faire engueuler par Satan. Entre nous, un gars mi-chèvre mi-homme, je pourrais juste me marrer.
C’est pour cette raison que j’allais essayer d’éviter la mort. L’idée de me faire engueuler par Satan chèvre m’effrayait. Je commence à nous assurer à l’aide des cordes que j’avais choppé à la boutique du coin. Je me souviens rapidement de mes nœuds de huit, et je suis méticuleusement ce que j’ai appris en cours. Des fois, on me disait un peu lent. Par contre, scolairement parlant, j’avais toujours été appliqué et attentionné. Je gardais juste ma vitesse pour ce qui me semblait nécessaire, et ça, l’humanité n’était pas prête à comprendre. Je vérifie que le baudrier de mon compagnon est bien attaché, et heureusement, il l’a bien serré comme il fallait. Esthétiquement, on ressemble à rien, et si Indiana Jones pouvait nous voir, caché dans une cavité, il se marrerait. Tant pis, on ne devient bien aventurier des grottes comme ça.

« Eh, merci d’avoir accepté surtout ! Je pensais pas que t’allais venir, pour être honnête. Mais bon, t’es là, et c’est l’essentiel ! »

Ephraïm me parle de trésor. Une ampoule s’allume dans mon hippocampe pour aller se jeter dans mon lac imaginaire de la grotte. L’argent, je m’en fiche, puisque j’étais déjà membre d’une famille à trésor à Stevenson. Si on en découvrait un, on pourrait le donner à l’Église, et peut-être que je pourrais être un Enfant de Dieu, moi aussi. Qui sait, peut-être allait-il revenir sur Terre et m’autoriser à survivre à un rhume.

« Tu ferais quoi, toi, avec autant de thunes ? »

On commence à s’engouffrer dans les différentes cavités de la grotte. On parle, mais je garde mes objectifs en tête : trouver des protées et autres axolotls. Il était hors de question d’avoir dérangé mes autres bestioles pour que dalle. Cet aquarium servira, un point c’est tout. Sinon j’allais devenir capricieux. L’argent n’achetait pas l’exotisme. Je remerciais Dieu pour ces opportunités, ma vie restait excitante.
J’ai mes crochets autour de ma taille, au cas où. Je commettais, certes, une grande folie assez conne à l’emmener avec moi pour foutre le bordel dans une grotte, mais loin de moi d’y aller sans précautions. Je commence à planter quelques crochets, fais quelques nœuds, et je lance un caillou au fond de la première gueule à affronter.
Il résonne loin.
Mon coeur se serre.

Je me sers d’une lampe torche pour évaluer si des étapes sont possibles dans notre descente. Fort heureusement, nombre de petites cavités et de parois peuvent supporter nos poids d’anguilles.
Not today, Satan, not today.

« On va y aller lentement, je propose … Sinon, on risque d’aller faire un check à Dieu plus tôt que prévu. »

J’étais mal placé pour parler de folies économiques. Je vivais avec la cuillère d’or dans la bouche depuis gamin. Si c’était une bonne chose, à vous de me le dire. Ce que je savais, c’est que l’argent permettait de couvrir les malheureux évènements. Mon sourire se tord, et une barre de fer traverse ma sale gueule. Actuellement, j’étais en train d’amener un petit gars avec moi en mission spéléologie pour capturer des animaux souterrains. A mes yeux, c’était une folie.
Par contre, si je savais que je pouvais vivre encore une vingtaine d’années sans soucis, j’en ferais des choses. Je me l’avouais pas, mais déjà, je croirais moins en Dieu. On voyait souvent les cadavres prier sur les tombes à l’annonce du Jugement Dernier. J’étais un Otto Dix des temps modernes. Sûrement que je cesserais mes conneries, d’aller voir des personnes au pif en quémandant un peu d’amour, que j’arrêterais d’aller tabasser des gens en leur demandant des justifications qu’eux même n’avaient pas. Je serais moins victime, moins bourreau.
Pour le moment, j’avais peu d’espoir pour ma vie future en terme de rapports humains. A défaut, je cultivais les insectes, les chenilles et papillons, en espérant en avoir assez pour que mon cadavre de séropositif retourne à la terre plus rapidement.
J’irai peut-être en Europe.
Je deviendrais peut-être artiste.
Sûrement que j’essaierai de choper un prix Nobel.
Et peut-être que j’adopterais, à la fin.
Je voulais les polaroïds.
La gloire.
Les gens.
La vie.

« J’sais pas. Pas d’imagination faut croire. Ou sinon que j’ai déjà tout. » je dis en rigolant.

Bombe fumigène orale, je m’y plonge pour esquiver les questions. Ma vie est en suspens, je m’en pose déjà trop, j’ai peur des points d’interrogations.
Je me heurte à un soucis. Mes connaissances en spéléologie sont primaires, et les descentes à la verticale me semblent être une aventure trop risquée pour tenter. Je pourrais gonfler le torse et m’essayer avec une série de nœuds, puisque tout était une question de nœuds. Si j’étais seul, je m’y risquerais sûrement. Là, c’était compliqué. L’idée de priver Stevenson de son enfant de Dieu me semblait hors de propos. Mains sur les hanches, je fais un peu le tour de la cavité.

« On va passer par là, c’est moins casse-gueule. Rassuré ? »

J’ai repéré un boyau. En dehors de son nom franchement dégueulasse, on peut s’y glisser plus facilement. La descente sera plus longue et plus éprouvante, mais au moins, on risque pas de s’écraser au sol. Fusionner avec la grotte … c’est mort.
J’explique qu’il faut passer ses affaires devant. C’est comme ça, qu’on fait. Sinon on s’entrave c’est la merde. L’imitation du ver-de-terre, ça paraissait dans nos cordes.
On crapahute, et je remercie les casques de nous protéger des petits éboulements de pierres. Je me nettoierais la gueule après. Là, j’étais surtout en mission survie, et j’adorais ça.

On déboule sur une cavité plus humide, et je sautille. Et si j’avais raison ? Si y avait vraiment un putain de lac à l’intérieur de cette grotte ? Ca serait génial. J’aurais juste un lac secret pour moi, et personne le saurait, parce que d’accès ça serait horrible.

« Pas trop cassé ? On va par là, ça me semble trop cool ! Le trésor à trouver, c’est un lac, ça serait incroyable d’en trouver un. Puis j’ai un aquarium à remplir. »

Il faisait frais quand on a trouvé le lac.
J’ignorais si c’était un courant magique, mais j’avais envie de penser que c’était ça. C’était mieux. A ce moment, Ephraïm m’a parlé, mais pour être honnête … J’ai aucune idée de ce qu’il me disait. J’écoutais pas, parce que je cherchais des axololts. Quand on arrive, je me mets à genoux, bras écartés. Un peu plus, et je lui vole sa place de petit Jésus, au fils du pasteur. En vérité, je me sens tel un conquistador sur une île lointaine.

« C’est trop génial hein ?! Regarde ! C’est à nous, ce lac ! Personne sur Stevenson aura le courage de venir jusqu’à ici, c’est beaucoup trop génial ! » je m’exclame, complètement extatique.

Excité comme une puce, je retire mes cordes et garde uniquement ma combinaison thermique pour éviter de perdre mon bras d’hypothermie. Je sais pas vraiment en quoi Ephraïm peut aider. Je dois juste aller récupérer des trucs et des tracs dans un lac. Pour le moment, j’ai juste une envie : profiter de notre découverte …
Je me suis trompé, je recommence.
Pour le moment, j’ai qu’une envie : faire de la merde.

« Retire tes cordes et tout, ça te fera perdre un peu de poids et de masse ... »

On dirait pas là, mais je sautille à moitié sur place. Je suis comme un gosse à Noël. Même mes vieux m’avaient jamais offert un lac. J’en serais presque outré. Je souris comme un con, et je sais que c’est rarement à mon avantage. Faire la gueule, un remède contre les rides, et je serais cool à soixante ans comme ça. Constamment sur mes appuis, j’attends le moment propice et …

« Dis moi Ephraïm … Pourquoi tu veux m’aider quand on peut juste … Le dernier arrivé dans le lac a pas de couilles ! »

Sur ce virilisme mal placé, je m’élance sans réfléchir en courant vers les eaux calmes de la grotte.
Je regrette instantanément. Elle est glacée. Je me mets à pousser des cris de douleur et de surprise tandis que mon esprit têtu s’entête à essayer d’y entrer.
Je voulais absolument nager dans cette eau que personne n’avait jamais souillé. Je pourrais peut-être m’y purifier.

« Eh ! Pourquoi avoir besoin d’eau bénite ! L’eau est super pure ici ! » je ris en claquant des dents tandis que ma taille est submergée par les eaux.

Je me dis que je dois m’habituer à la température si je compte émerger ma tête pour aller y chercher le monstre du Loch Ness. Gamin sans rêves, je me retrouve à me transformer en glaçon dans les confins du monde. Ca me va bien. J’espérais finir dans une belle limonade en plein été, je pourrais épouser des lèvres pour une fois.

J’avais jamais vu Ephraïm aussi joueur, et ça m’éclate bien. Sourire canin heureux, je m’amusais à creuser un peu la personnalité du petit Jésus de l’Église. Il propose beaucoup de choses, et je le pense sincèrement enthousiaste. Je peux pas m’empêcher de me demander pourquoi il m’a suivi, réellement. Rien ne le forçait, et l’entreprise était loin d’être aisée. Je lui proposais une mission relevant presque du suicide, et c’était joyeusement qu’il sautait sur l’occasion, en serrant quelques poignées de main à l’occasion sur le chemin de la mort.

Après tout, tout le monde avait ses squelettes dans les placards, et je m’étais enfermé à double tour dans le mien, décidé à ne jamais en sortir.

Je le vois entrer dans l’eau tranquillement, sans frisonner. Je hausse les sourcils, franchement étonné. N’importe quel humain claquerait des dents comme je le faisais, et je refusais toute autre interprétation. Admettre ma faiblesse me paraissait complètement hors de propos. Perdu dans mes pensées, je me retrouve tête dans l’eau et je remercie la physique de permettre à mon cri de surprise de se perdre en petites bulles. Grâce à elle, je peux me relever et rester digne en me marrant, tout en essayant de ne pas me mordre les lèvres avec mes sales claquements de dents.
Que tous tes maux disparaissent !
Très drôle, monsieur Ephraïm. Cette fois, je me mords volontairement les dents. J’étais pas du genre à m’étaler sur mes soucis. Je préférais garder la face et mentir. Admettre ses faiblesses, c’était donner de l’avance à ses futurs ennemis. Je plisse les yeux, parce que j’ignore ce qu’Ephraïm pense réellement des rumeurs qui tournent autour de moi. Je sais qu’à Stevenson, la plupart des personnes sont dupes quant à mon accident de voiture. Je passe pour l’idiot du village, et tant mieux. Je suis l’imbécile heureux, gamin n’ayant jamais grandi, car la maladie l’empêchera d’aller plus loin. La vie était trop courte pour remplir des feuilles d’impôts et les formulaires du health care.

« T’es un petit marrant, toi. »

Je m’élance sur lui dans un éclat de rire à peine forcé pour le couler à son tour. J’aurai bien essayé de le lancer par dessus mon épaule, comme mon père faisait quand j’étais marmot. La différence étant que j’avais 8 ans, 30 kilos tout mouillé, et que mon daron était plus sportif que moi. Physique de phasme, j’établissais résidence sur les branches les plus fragiles.

« Ephraïm Woolf, conquistador du lac Atkins-Woolf, purificateur de The Sea of the Star Parish. Tu commences plutôt bien la vie, mon gars. »

Si je n’irai pas affirmer que mon corps s’est habitué à la température glacée de l’eau, il s’y acclimate. Je profite d’avoir la tête humide pour faire la planche. Pendant un instant, je me sens serein, et mes maux de tête semblent me quitter. J’aimerais me confondre dans ce lac. Si ça faisait pas aussi pédé, j’adorerais être une sirène pour y habiter. Le froid semble immobiliser mon sang vicié, et la sensation est agréable. J’en profite pour tester l’écho de la caverne en chantonnant. Peut-être que Dieu se cache parmi les chauve-souris et m’entend. Il ne m’a jamais abandonné, pourquoi le ferait-il maintenant.
A quoi bon se sacrifier pour l’Humanité pour l’envoyer chier ensuite. C’était un non-sens, et à me montrer l’Eternité, Dieu m’avait rempli d’espoir pour le futur. Je ne pouvais que lui faire confiance.

Je me redresse, les yeux un peu dans le vague, suivant les courants de l’eau.

J’ai toujours préféré les insectes aux canins. Les chiens, ça avait de côté absurde et un peu stupide. A part les cafards, les insectes n’allaient pas fourrer leur nez de partout.
Je regarde Ephraïm, tandis qu’il continue à parler. J’oserais pas faire l’affront de dire qu’il dit des conneries. Je me jugeais plus intelligent que la plupart des habitants de Stevenson, mais curieusement, j’étais le seul à le penser tandis que mes actions semblaient prouver le contraire. Il avait aussi raison en disant que ma seule capacité était la fuite. Les insectes le faisait, car sinon, ils se faisaient écraser. Mante-religieuse contre doberman, je me sentais légèrement pris au piège. Je commence par hausser les épaules, car j’imagine dès lors des lumières de théâtre s’illuminer au dessus de ma tête. On voit presque rien, dans l’obscurité, et seules les lumières de nos casques et des lampes autonomes nous éclairent.

Je déteste qu’on foute son nez dans mes affaires.

J’étais rongé par la maladie et la honte. Très bien. Je m’estimais suffisamment désespéré pour ne pas en parler. Non. Si je devais crever demain, je préférais qu’on m’estime comme étant l’idiot du village un peu amusant plutôt que comme le martyr pédé de ces messieurs. Je refusais qu’on me victimise alors que je ne le désirais pas. Qu’on m’invente des faiblesses pour mieux scier à mon image de gars un peu faiblard. Je faisais l’illusion auprès de personne : mon teint blafard et mon sale état de santé me trahissaient. Néanmoins, j’appréciais qu’on me laisse gérer ma maladie comme je le souhaitais. Attirer les bienséants et la charité ne m’avait jamais intéressé. Désormais, le VIH et moi, c’était une affaire que je confiais entre les mains de Dieu. J’espérais, avec la promesse d’être à ses côtés, ne plus avoir peur. Pourtant, j’avais toujours ces papillons aux ailes acérées quand je pensais à la mort. Rien à voir avec la sensation que j’avais eu quand j’étais …
Enfin, vous voyez. Là, ici bas, sans endorphine, la petite mort on la connaissait pas. Il restait que la fameuse, celle sur laquelle on écrit des essais, celle qui m’enracinait et qui me guettait. J’espérais progressivement m’y confondre et ne plus m’en inquiéter.
Je n’avais décidément pas besoin d’Ephraïm pour que ce soit le capharnaüm mental dans mon esprit.

« Ephraïm. »

Je marque une pause et me tourne vers lui. Si mes yeux sont clairs et les siens sombres, mon regard est noir et le sien pastel.

« T’écoutes beaucoup les rumeurs pour quelqu’un qui est sensé étudier la Bible. Et tu sais ce que les rumeurs font, dans la Bible ? » Je me rapproche, extrêmement sérieux. « Des martyrs. »

J’étais pas là pour me justifier de mon geste. Oui. Oui j’avais baisé un type et c’était un connard ascendant bâtard. Oui, j’avais le sang pourri, et c’était dire, je l’avais goûté lors de mon accident de voiture. Il était pas bon. J’en ferais clairement pas une soupe, et ça prouvait que j’étais pas Jésus, et que j’étais loin de lui arriver à sa cheville.
Je pose mon index sur les lèvres du jeune homme, lui intimant de se taire, avec le regard qui semblait chanter en choeur avec mes gestes. Allons chercher des axolotls et des rochers mystérieux. Les secrets n’étaient pas des trésors, loin de là.

« Un mauvais accident de voiture. J’étais ivre. Je suis l’idiot du village. » je balance en me rapprochant encore de lui.

Ma main s’agrippe à son front et emmène sa tête en arrière dans l’eau. Geste de baptême, sûrement je crée une renaissance. Qu’on le ressuscite, avec des pensées claires et limpides. Je le relève, le laissant reprendre sa respiration. Loin de moi l’idée de le noyer. Je n’étais pas un meurtrier. La symbolique était importante, et je le savais capable de la saisir. Je lui tends la main, équipé d’un sourire administratif.

« Ambrose Atkins, enchanté de faire ta connaissance. »

« Ouais ok. »

Je hausse les épaules.
La prédisposition à s’énerver lorsqu’on était pas maître du tragique m’étonnait. Si j’avais un regret, je lui crachais dessus, salive acide que je possédais par le pouvoir mortifère. Je lève les yeux au ciel, enfin, le sommet de la grotte. Peut-être qu’ils iront s’accrocher à des roches. Peut-être qu’ils se crèveront, dans ce cas je pourrais réellement pleurer du sang. Au fond de moi, mes entrailles décrivent un sourire. Sûrement ais-je réussi à le convaincre. J’étais sûrement qu’un abruti refusant de l’aide à ses yeux. Qui sait, j’étais peut-être encore mieux, un manipulateur. J’aurai apprécié avoir la prestance de ceux qui arrivent à arriver à leurs fins sans se salir les mains. De mon côté, j’aurai toujours à avoir les mains sales, pleine de merde et de sang, puisque c’est certainement comme ça que je finirai ma vie.
Pas de larmes, je m’y étais habitué. Si on pouvait m’opérer, je savais qu’on allait pas changer mon destin. Peut-être que si j’étais artiste, j’aurai pu dessiner des desseins. Ephraïm n’avait certainement pas son mot à dire, pourtant, il parlait plus que je ne l’avais entendu. Qu’il me sacre roi des abrutis, couronne d’épines sur la gueule, j’attendais que le sang me rende aveugle pour continuer ma petite vie de séropositif tranquillement.

Je l’ignore, comme il devrait ignorer ma vie.
Elle ne lui appartient pas, elle est entre les mains de Dieu. Ne confonds pas tout, petit ange. Tu possèdes les coeurs des habitants de Stevenson, je ne te confie pas encore mon sang ni mes poumons. Je crèverais d’un rhume, comme je l’espérais. Mourir chez moi, je l’ai toujours voulu, branleur que je suis. Je m’étire, sentant les côtes dorsales se ramener avec moi. J’espérais que des ailes y poussent. Pourtant, ni ailes ni rien, juste un silence un peu gênant. Fallait s’y habituer.
Je l’emmènerais sûrement dans la tombe.

« Fais ce que tu veux, je te laisse le loisir d’être propriétaire de ta vie. » Prends exemple.

Je souris, petit requin que je suis, je m’apprête à plonger dans les abysses. Petit signe de main, je m’agite au dessus de ma tête au lieu de le faire intérieurement. N’allez pas croire que la mort m’effrayait. J’avais failli me l’infliger en m’écrasant en bagnole. J’avais fini par me faire à l’idée. Je n’étais pas désespéré, loin de là.
Je ne me considérais pas comme un personnage tragique.
J’avais envie qu’on me considère réellement comme quelque chose de joyeux et solaire. Hors de question qu’on chiale à mon enterrement. Laissez moi prendre possession de ma vie. Je n’étais pas une victime. J’avais peur, oui. J’aurai espéré vivre plus longtemps, pouvoir baiser à tout va sans m’inquiéter de le refiler. J’aurai aussi prié pour pouvoir avoir une famille, mais crever à trente ans, j’aimerai voir mes enfants grandir. Pas d’égoïste chez Ambrose Atkins, je m’étais fais à l’idée de rien laisser, si ce n’était ma carcasse pour nourrir les insectes.
Pourquoi pensez-vous que je les apprécie autant ? Je savais que j’allais passer la plus grande majorité de ma vie dans leurs intestins plutôt qu’avec les humains.

« Je reste parce que j’ai mon aquarium à remplir ! Si tu veux, viens et on va voir ce qu’on peut prendre. »

Je le sentais qu’il allait se barrer. La vraie question, c’était de savoir s’il pouvait le faire seul. Sans connaissance en spéléologie, la remontée pouvait être ardue.  En attendant, je retourne vers nos affaires pour chopper un masque. J’attrape au passage une barre de céréales ; nos corps fatigués par l’hypothermie pouvaient en avoir besoin. Je lui en tends une, tandis que j’ouvre la mienne du bout des dents.

Je me disais qu’avoir réussi à traîner quelqu’un dans ma folle aventure était un exploit suffisamment probant pour que je me félicite pour le reste de la journée. Loin d’être un délire purement narcissique, j’éprouvais plus que tout ce besoin des journées utiles. Ephraïm m’offre un second exploit sur un plateau d’argent : le fait de rester. Je pourrais m’applaudir, mais je préfère rester dupe en me disant qu’il me suit dans mes conneries par amour du danger et de l’aventure plutôt que par désespoir de cause. Dernier regard vers mon acolyte, il tire la gueule, et je me dis qu’avec un masque sur la tête, j’aurai moins à supporter cette vision. J’étais pas du genre à me plier d’excuses. Je galérais à voir ce que j’avais fais de mal.
Je prends mon habitude sur mes épaules et je les hausse.

« Parfait. Si tu vois un truc vivant, végétal ou animal, insecte ou peu importe, pense à le capturer avec de l’eau. »

L’idée de ramener un cadavre chez moi me dérangeait. J’étais un agriculteur de la vie, un collectionneur d’étincelles, et il était hors de question que je perturbe ma tâche comme ça. Je croque une dernière fois dans ma barre de céréales. La peur au ventre, je crains toujours les nausées et ce tractopelle dans ma tête. Quand est-ce qu’il retrouvera du gasoil pour venir creuser dans ma tête, ce con-là. J’ai l’impression d’avoir la blancheur sur le bout des lèvres, et la fatigue n’aide rien.
Peu importe, j’avais crée un aquarium, et le voir vide m’affectait trop. Il était hors de question que je le laisse comme ça.

J’oublie régulièrement les sensations, et je conclus que c’est tant mieux. Le froid me fait l’effet d’une lame sur l’intégralité de mon corps, et je croirais devenir transparent. Mes mains dévoilent leurs veines, et c’était pas ce que l’être humain avait de plus attirant. Prenant mon courage à deux mains, j’ose enfoncer ma tête dans les abysses.
J’adorais la sensation d’être immergé dans l’eau. J’entendais plus rien. Je ne sentais plus rien. Je me mets à regretter d’avoir un masque qui me permet de voir ; sans quoi les sens coupés m’étaient agréables.
Dans le lac, aucun axololt. Sûrement que j’avais oublié que ces bestioles ne vivaient pas sur cette partie du globe. Aucun soucis. Je récupère quelques algues, un peu d’humus. Si je réussis à chopper un spécimen animal, je me sens un peu triste pour lui ; j’ai peur que la solitude lui pèse. Je prie dès lors pour qu’Ephraïm ait récupéré un truc.

Je rejoins la berge, apaisé par la fraîcheur des flots. Je retire mon masque et en profite pour me fourrer le crâne entre les mains. Je savais qu’enserrer ma tête faisait passer les migraines. A l’arrivée de mon acolyte, je prends bien soin de quitter la position, aborder un sourire enjoué et de lancer, comme si de rien n’était :

« Alors ? La pêche a été bonne ? »

Aujourd’hui, je suis satisfait. Je n’aurai pas imposé la solitude à mes amis. En voyant les bocaux d’Ephraïm, un large sourire se creuse sur les sillons de mon visage fatigué, et mes mains veineuses les saisissent avec la hâte d’un affamé, brisant le poli alignement qu’Ephraïm avait dessiné. Rigueur contre chaos, je collais mes yeux sur tout le vivant qu’il avait réussi à capturer. Théorème confirmé : même les créatures des abysses semblaient préférer aller se jeter entre les griffes des belles gueules. Je rate un battement de coeur, parce que j’espère que ça sera pas le cas de toutes les espèces. J’avais besoin de quelques spécimens pour espérer un jour devenir un spécialiste des insectes. J’éloignais déjà les humains, laissez moi me sentir proches des bêtes qu’on écrasait sur le rebord d’une fenêtre avec un air dégoûté.

« Je suis impressionné, je dois avouer ! Bon travail, Eph ! »

Je me permets de rester un moment pour observer plus près les espèces qu’il a pu capturer. Je sors mon carnet et j’écris quelques trucs sans réellement d’intérêt dessus. Je pourrais faire état de bonne volonté, tenter de prouver que j’avais vraiment besoin d’écrire à ce moment-là. La vérité, c’est que je trouvais l’atmosphère très pesante, et que j’optais toujours pour le rire et la provocation. Je n’éprouve pas le besoin de m’excuser : c’était un fonctionnement, un mécanisme de défense. Je me sentais possesseur de la situation, et contrôler calmait mon rythme cardiaque si véloce et ma tête qui me donnait envie de la déposer au creux des abysses et de venir la chercher demain matin, quand l’eau lui aura rafraîchi les idées.

« - Maintenant, sortons d’ici. »

Très bonne idée, en somme. J’avais perdu la notion du temps, et si je jouais au spéléologue en chef, la réalité était toute autre : j’étais planté là à jouer à l’aventurier, juste parce que j’avais eu un cours sur l’exploration des galeries et sur la spéléologie, au cas où j’avais des bestioles à aller chopper aux confins de la terre. Si je savais quel matériel prendre et quels nœuds faire, c’était plutôt évident que l’exploration par les boyaux m’arrangeait : moins dangereuse, et elle nécessitait moins de préparation.

« Je t’en prie, passe en premier, je pourrais couvrir tes arrières si il t’arrive une merde comme à l’aller. »

Sourire poli, je lui montre l’entrée des boyaux par lesquels on est arrivés. Si la descente avait été possible, la montée l’était également. Je prépare de la magnésie au creux de mes mains, histoire d’éviter de forcer de trop sur mes muscles que je préférais qualifier de délicats plutôt qu’inexistants, et je me prépare pour la route au sommet en m’équipant de nouveau.

La remontée se passe bien.
Je le précise, dans mon crâne, car j’en tremble tant je suis surpris qu’on ait encore nos deux jambes et nos deux bras. Dommage, j’aurai bien aimé être un pirate, réellement. Je me disais régulièrement qu’une jambe de bois, ça faisait aventurier, et que le macabre, ça attirait plus les filles qu’elles n’osaient l’avouer, du bout de leurs lèvres candides. Je garde mes idées en tête ; si j’aimais l’esthétique, inutile de perdre un membre. J’étais pas très doué avec ce que j’avais à ma disposition, et l’idée de m’enfoncer encore me paraissait peu aguicheuse. J’essaie de faire le mec cool, et je m’imagine avec des lunettes de soleil sur le pif à la place de notre masque de protection. Il me semblait que les chantiers étaient le nouveau fantasme chez les petites donzelles. Spéléologie et traîner des kilos toute la journée, ça me semblait à portée de main. Dans ma tête, j’hausse les épaules, parce que j’espère que je pourrais le faire un jour.

Tout naturellement, j’aurai du m’en douter : on est pas réellement des cools kids en sortant. Du moins, on est loin d’en avoir le look.
On est dégueulasses, pour parler honnêtement.
J’en profite pour me passer les mains dans les cheveux et je deviens un nuage nucléaire, particules à déposer sur les poumons fragiles. Je me savais fatal, mais tout de même. J’observe la poussière retomber sur le sol, et me demande combien de grammes je perds quand je m’époussière. Mon camarade lève son pouce en l’air, et je suis un gars de l’excès : je lève mes deux bras en l’air, espérant que Dieu me confère un peu de sa puissance. S’il te plaît, donne moi la force de rentrer, notre père qui est aux cieux et blablabla.

« Bah ouais on a réussi, je te l’avais dis. »

Que dalle et pour être honnête, j’avais sûrement autant sué que lui à l’idée de rester toute ma vie bloqué dans une grotte. Je voyais déjà les gros titres, mais au moins, je serais pas mort seul. J’étais irresponsable, mais après tout, je prônais le consentement : Ephraïm n’avait pas eu le couteau sous la gorge pour me suivre, et petit bêta que j’étais, je restais convaincu qu’il avait passé un excellent moment.
Je sens mon plexus solaire tout tendu, et pourtant, c’est pas à cause de cette connasse de lune. J’étais pas à l’aise le soir, j’avais peur de me faire casser la trogne quand y avait pas mes boys. Je me défais rapidement de mon équipement, que je laisse négligemment par terre, et je me tire une clope. Flemme de rouler, cette fois, je me contente d’industrielles. La flamme du briquet me rassure : elle éclaire autour et j’ose pas l’admettre mais je me tape une deuxième frayeur. Tant pis, j’avais le pouvoir de la clope et je me sentais sacrément cool comme ça. En tout cas, je voyais les filles et les gars de mon lycée qui faisaient tous ça et je les admirais, car c’était des gens branchés. Maladroit dans mon allumage, misérable sur la détente, je crapote plus que je ne fume et lance avec le flegme qui caractérise ces jeunes adultes coincés au stade pré-adolescent :

« T’inquiète frère, de rien, on se refait ça quand tu veux ! »

Brillant de ma ringardise habituelle, je pousse le vice jusqu’à lui adresser un clin d’oeil que je veux complice, souligné par ce sale sourire des gens qui se veulent admirables mais qui ressemble plus à un rictus de gêne intense. Je vous le dis, je me trouvais incroyablement sympa comme ça, et franchement, je m’aimais bien à ce moment.
Je présume qu’ensuite, on a chacun pris le chemin du retour. J’aurai bien proposer une bouffe au fast food du coin, histoire de faire l’adolescent populaire, puis enchaîner sur une pinte au bar en bas de chez moi. Rien de tout ça, j’étais crade, et l’attitude, ça cachait en rien les odeurs, à mon grand désarroi.
Je suis rentré, j’ai pris une douche, j’ai maté un énième nanar que j’ai trouvé marrant, puis je me suis endormi avec les muscles tout tendus et la promesse au creux de l’oreille d’incroyables courbatures le lendemain.

Spoiler: