ein wütender Frosch [Albrecht]

Oh, yeah
Oh, yeah

Sur un air de Muddy Waters, il se laisse enfoncer dans le bois tressé de la chaise ; contre le vernis du bureau repose le cylindre seul des porteurs du cancer entre leurs poumons. Mèches blondes près du visage, l'azur qui fixe ce point invisible accroché droit devant. Tout dans les entrailles de la maison Mannish Boy fait percuter le son, Brynhild doit aussi l'entendre et oh mon dieu que ça doit la déranger à cette heure-ci. Au travail, elle est sûrement occupée dans sa loge privée, dos couché au-dessus des thèses, des peintures, des broderies et des broutilles qui n'intéressent personne d'autre qu'elle.


Everything gonna be alright this mornin'
Now, when I was a young boy

L'on frappe à la porte, trois fois, trois seules fois et puis tout se tait de nouveau comme après avoir invoqué le diable en personne. Sans doute que tous les visages Edelstein présents se sont tournés vers les fenêtres, bizarre qui ça peut bien être à cette heure-ci, pourquoi on n'a pas sonné ? Est-ce que c'est encore une de ces blagues vieilles comme le monde avec ce gamin qui frappe puis disparaît dans les frondaisons. Brynhild ne sort pas de son terrier personnel, papa et maman ne sont pas là. D'accord, on sait très bien à qui revient le rôle d'aller ouvrir à ce mécréant qui doit bien rire planqué derrière son buisson maintenant.


At the age of five
My mother said I was gonna be

Les escaliers supportent son poids, ça fait du bruit, ce bruit qui fait peur quand il approche mais qui rassure quand il s'en va. Le tube de tabac dans la main, prêt à se coincer entre deux dents, blouson sur les épaules, cheveux blonds tout autour de ce visage à la peau si blanche. Tous ensemble il vont jusqu'à l'entrée appuyer sur la poignée et déployer une porte qui laisse apparaître non pas un mécréant mais bien une silhouette fine avec sa coupe couleur noisette bien taillée comme ces jeunes filles sur le point de se marier ou quelque chose comme ça.


The greatest man alive
But now I'm a man

La guitare de McKinley continue de vibrer contre les murs, une partition lointaine qui sort des boyaux de la maison et c'est vrai que ça lui donne un air très américain à la demeure des boches. L'épaule du blond, tranquillement se pose contre l'embrasure, main gauche dans la poche et l'autre qui triture la cigarette du bout des doigts. L'azur a commencé à détailler cette créature brune avec un aiguisement qui s'apparente fort à celui du couteau.


- T'es qui ?

Cet homme aux cheveux blonds qui ressemble à s'y méprendre à un Albrecht plus âgé.
Frapper, frapper trois fois comme pour invoquer le diable, ça c'est bien vrai.

I'm age twenty-one
I want you to believe me, honey
We having lots of fun

- Hmm mm.

Il jauge du regard, l'œil plissé comme pour accentuer les contours flous qu'il voit apparaître progressivement de cette silhouette plantée devant lui et qui n'a pas les mots pour une raison qu'il ignore. Entre ses phalanges le tube à toxine, toujours, et qui finit par boucher la fente de ses lèvres avant qu'un zippo ne vienne encombrer les paumes du blond à jouer avec clic clac clic clac éternellement faire ouvrir puis refermer le clapet d'acier, réflexe de fumeur et c'est vrai que c'est si bon de faire retentir ce bruit comme la détente du revoler.

Derrière lui l'octave de Waters continue de frapper la maison de ses mille sons.

- Et qu'est-ce que tu lui veux à Albrecht ?

Comment ça se fait qu'elle le connaisse son frère, cette fille ? Encore un peu il plisse des yeux, ça va l'image se précise. Ta vue a baissé depuis la dernière fois la dernière bataille hein Johannes... C'est ce qu'elle dirait Brynhild, avec son ton moralisateur de Wendy mère des enfants perdus qui n'a jamais pu avoir les siens de marmots, qui n'a jamais pu les faire sortir de son ventre à elle son ventre stérile. Mère insupportable.

Son épaule se décolle du bois pour venir cracher dans le vide, pas aux pieds de cette biche égarée à l'autre bout de Stevenson à chercher un fils de nazi qui est absent de toute façon.

- Il est pas là.

Sans détour, le feu étincelant au bout du cylindre. Ah Johannes si proche de Albrecht dans ses ondulations blondes ses tâches de rousseur subtiles la forme de ses lèvres et puis quelque chose de plus mais pourtant on sait très bien que ce ne sont pas les mêmes quand on regarde de près. Trop vieux pour être Albrecht mais trop jeune pour être papa Edelstein.

Qu'est-ce qu'elle trifouille entre ses doigts la brunette ? Pas moyen de voir Johannes, déjà qu'observer ce visage tout entier c'est difficile. Et puis ces yeux.

- Prends pas cette peine.

Il chasse aussitôt l'idée d'attendre sur le perron que le garçon le plus jeune de la famille revienne. Gueule fumante de tabac, nuage qui tiraille l'envie et provoque deux yeux encore éblouis. Veste noire aux pans cliquetants quand l'homme s'ébroue et puis fait un pas hors de l'encadrement pour confronter l'inconnue et sa coupe trop bien taillée.

- Dégage, y a rien pour toi ici.

Cirrus insolent qui noie un visage. La clope à lui et lui seul restera.

- J'ai jamais vu ta gueule en ville. D'où tu viens ?

C'est pas commode un grand frère Edelstein hein ? L’œil bleu méfiant et plié comme si un rayon de soleil uniquement sur lui s'abattait. Cylindre éphémère qui se consume, termine entre deux doigts. Encore il approche, crache sa fumée dragon sans ailes. La menace qui chuinte tranquillement.

Johannes il est pas seulement désagréable il réfléchit juste et protège les siens à sa façon de molosse carnivore. Des idiots qui viennent sonner à la porte l'air de rien avec l'auréole de dieu au-dessus de la tête pour finalement jeter les pierres par derrière il y en a eu plein une flopée que Johannes connaît par cœur. Ces enfants ont appris à avoir peur de lui, à confondre l'aîné et son cadet et peut-être parfois reculer de crainte d'avoir le plus vieux en face d'eux.

Et pourtant rien chez cette fille ne dit que l'ombre du plus violent de cette famille dégénérée de boches lui fait quelconque effet au contraire elle semble prête à faire pied de grue là, bras croisés sur ses seins. Bizarre bizarre Johannes, ils tremblent tous de peur à l'idée d'avoir mal d'habitude, à l'idée de recevoir la frappe de ta colère.

- Tu comprends pas ? Tu décolles d'ici rapidement ou je t'éclate.

Quand la cigarette s'envole et s'écrase tête la première sur le goudron pas très loin c'est parce que l'homme s'est approché encore un peu d'un pas seulement mais assez pour gonfler l'air de tension.

La musique s'est arrêtée.
Au lieu d'elle on entend une paire de talons dévaler les escaliers à toute allure comme si c'était l'urgence la plus totale, et on avait raison : chevelure opaline qui entoure le visage tourmenté d'une Brynhild.

- Johannes !

Un roulement des yeux de la part du concerné dont le dos se tourne de trois quart pour les voir arriver elle et son air inquiet si insupportable à vouloir materner ceux qui ne devraient pas l'être.

- Oh Dani je suis désolée.

- D'où tu connais Brynhild ?
- C'est l'amie d'Albrecht.
- Albrecht a une amie ?

Edelstein : ami.
Ami : Edelstein.

... Non décidément ça ne fonctionne pas Johannes resserre ses poings dans les poches de son lourd blouson avec un air comme qui dirait d'homme contrarié. Un ami ça jamais aucun Edelstein n'a parlé de personne sous ce nom peut-être vaguement connaissance mais ami ça non c'est pas arrivé. L'amitié et l'amour chacun la vit dans son côté de manière secrète et cachée, on n'en parle pas comme si de l'acte intime il s'agissait.

Pourtant Brynhild quand elle a su qu'Albrecht avait trouvé une personne à désigner comme ça comme une amie, elle a entouré ses bras autour de son cou et lui a partagé un bonheur mutin comme seuls un frère et une sœur peuvent le faire.

- Il travaille. Le Bigfoot Diner.
- Hé pourquoi tu balances ! Tu sais même pas qui c'est !
- Johannes s'il te plaît.

Cadette des Edelstein qui cependant fait de son mieux pour supporter le regard de plomb de son plus grand frère, son regard qui pèse une tonne qui coupe et qui brille d'une colère tapie. Le plat de ses mains contre les bras de Dani, Brynhild lui souffle comme une révélation.

- Rejoins-le... et merci.

Blouson de cuir trop lourd ça affaisse les épaules de Johannes dont le regard suit la course de cette biche jusqu'au cœur de la ville.

- Pourquoi tu lui as dit.
- J'ai vu le soleil dans les yeux d'Albrecht à l'évocation de cette fille.


- EDELSTEIN !
- Oui monsieur ?
- Reste encore tout ça à débarrasser tu t'fous d'moi ?!
- Non monsieur, je... je croyais que je l'avait fait.
- T'as mal cru dépêche-toi y a des clients qu'arrivent on va pas attendre la demi-finale !
- Oui monsieur.

Cette vaisselle, Albrecht l'avait vraiment faite. C'est peut-être McDowell qui a profité de quelques minutes d'inattention pour déposer sur la pile encore tout un monticule d'assiettes de casseroles de couverts sales et d'ustensiles dont on ne voit plus le chromé, tout ça pour rajouter du travail au blondinet tout ça pour l'enfoncer encore un peu dans son embarras. Et là étouffé dans le nuage épais de vapeur qui colle à la peau et aux yeux Albrecht s'active et plonge les coudes dans l'écume bouillante où trempent il ne sait pas vraiment quoi il sent jusque que ça remue dans tout ce torrent de liquide vaisselle. Parfois il caresse accidentellement une proéminence coupante et ses doigts cessent leur course aveugle. L'éponge vite l'éponge, gratter les croûtes gratter la sauce qui s'est comme qui dirait immortalisée dans la céramique. Il irait plus vite avec la machine il irait même deux fois plus vite mais les machines elles sont déjà occupées à digérer tout un cube de saloperie ça prend du temps et attendre sans rien faire ça on ne peut pas.

En-dehors de ces coulisses où toutes les paires de jambes s'affolent dans tous les sens on retrouve le brouhaha habituel d'une clientèle affamée devant le comptoir et devant la carte du jour. Ah ça Albrecht jamais n'aura le droit de se dévoiler comme serveur déjà parce qu'il serait trop lent c'est évident, mais surtout parce que qui viendrait au Bigfoot Diner avec un fils de nazi prêt à vous accueillir hm ? Personne. Pourtant c'est bizarre parce qu'au serveur qui n'a rien de nazi du tout une fille s'est accrochée au col comme une teigne une saleté humaine tout ça pour quoi ? pour demander où est Albrecht où est ce fils de nazi. Trop chamboulé par cette attaque soudaine le quidam rattrape de justesse un plateau de biscuits apéros et les canettes de Cola qui ont quand même un peu craché de jus collant à terre on le précise.

- Heeeeu ! de quoi tu parles ! Albrecht ??

Elle gueule, pas moyen de faire semblant.

- Dans les cuisines, il est dans les cuisines... Lâche-moi !

Les mains plongées dans le bac d'inox à remuer les doigts dans ce fatras invisible sous la pellicule de mousse ça fait des secousses sourdes avec la tranche des assiettes qui cogne les parois à l'aveuglette. Ce tintamarre dure encore quelques secondes avant que le battant des portes et leur hublot genre fenêtre de bateau de croisière ne s'ouvre direct sur les cuisines et son branle-bas de combat dont Albrecht fait partie.

La suite est si rapide il n'a pas le temps de comprendre par contre il reconnaît très bien le visage petit et fin et puis cette chevelure chocolatée et son regard que rien n'échappe. Il se sent si triste et si embarrassé Albrecht que ce visage qui a tant d'importance pour lui le voie ici dans cette tenue de travail dans cet environnement anxiogène mais pourtant si impeccable. Niché à l'arrière des comptoirs personne ne peut le remarquer lui en train de s'affairer au rinçage des couverts et à dire vrai ça lui va très bien comme ça. Mais même ici dans son trou de souris on est venu le chercher.

Bras tiré jusqu'au-dehors où tout à coup tout se tait, il n'y a plus de bruit de vaisselle plus de mare savonneuse par terre plus de plaques chromées qui font plisser des yeux. À la place il y a Dani, Dani qui resurgit comme par magie après tout ce temps (quelques jours en réalité mais pour un Edelstein le temps n'a jamais de fin et ça dure tellement que même l'enfer est moins long) droite et la mine froissée d'une urgence qui trouble Albrecht.

- Dani...

S'il te plaît stop arrête ne t'énerve pas. Je suis là dis-moi ce qui se passe.

- Qu'est-ce que c'est ?

Le papier déplié entre ses doigts lents comme si une terrible prophétie l'attendait recroquevillée dedans. Ça ressemble à une mauvaise blague à des mots qui d'avance font mal et la lecture de ces menaces Albrecht l'a qui repasse en boucle dans sa tête un million de fois, ça fait des échos, des relents puissants et toxiques, des coups de couteaux. Plus il relit plus il entend plus la lame s'excite dans les plaies et plus son visage à lui dépérit de chagrin.




Ah c'est terrible, il aurait préféré ne jamais avoir à lire ça, regarde comme ça le rend triste. Sa pomme d'Adam qui bondit pour tenter d'avaler la crainte la honte la solitude l'enfance les visages moqueurs et tous ces années à avoir peur. Le bonheur de revoir Dani ? Dilué, parti en fumée. Un silence qui revint se blottir sur ses lèvres humides, les mêmes qu'ont les enfants qui ne savent pas encore parler.

Ses mots à Dani ça fait mal aussi, même si c'est pas l'intention derrière même si c'est rien que des effusions de sentiment qui n'ont pas vocation à blesser ça fait mal pareil. Il tripote le papier entre ses doigts Albrecht sans savoir quoi en faire il a l'impression de tenir une bombe un cadeau empoisonné s'il le jette il renie ses origines et s'il le garde il assume avoir été complice d'une manière ou d'une autre juste parce que dans son sang il reste un peu de ce gaz qui a tué des millions de personnes il y a des années.

Parce que je suis un Edelstein.

- Ç... Ça suffit...

On ne l'entend pas il parle trop bas. Est-ce qu'il vient de reculer là ? Oui, et il va reculer encore, aussi loin que cette ruelle exiguë lui permette, il doit bien y avoir une issue pour lui dans ces gorges de béton. Une benne où se loger et finir en détritus oh ça ça ferait plaisir à beaucoup de gens de Stevenson, ils seraient contents de voir le déchet retourner parmi les déchets.

- N'approche pas tu as bien lu, tu vois qui je suis.

Il ne la regarde pas dans les yeux.

- Tu dois pas rester avec m-moi je vais te faire du mal.

Main plaquée contre la bouche comme si les morceaux de papier c'était lui qui les avait ingérés. Du sel, du sel plein d'eau au bord des paupières, ça essaye de se retenir mais c'est impossible c'est beaucoup trop vaste et lourd cette confusion mêlée de chagrin et d'amour. Ses épaules qui ! sautent ! involontairement, frappées par un appel désespéré et muet qui cogne tout à l'intérieur sans savoir sortir.

Qu'est-ce que tu viens de faire Dani.
Non, ça, il ne faut pas...

Et comme elles ne savent pas rester droites ses jambes reculent encore, attirées par le vide derrière qui semble plus confortable sans personne à qui devoir répondre. Lèvres tremblantes et trempées, brouillées par l'assaut frénétique des pleurs contenus. Qu'est-ce que c'est gênant de se mettre à nu aussi souvent et de ne pas être capable de s'en empêcher.

Des convulsions du corps qui l'empêchent de parler. Ses lèvres s'entrouvrent mais rien à part le chagrin ne s'écoule, rien à part des dents qui se serrent très fort pour tenter d'endiguer le flot de larmes et faire taire les soubresauts.
Ça ne marche pas très bien.
Il voudrait que tout retourne se tapir profondément en lui comme pendant tout ce temps. Il voudrait aussi qu'on ne l'entende pas pleurer autant et qu'il puisse parler normalement car il est très embarrassant de se laisser aller à ce point aux sentiments. C'est dur quand quelqu'un vous déshabille le cœur comme ça, sans que vous ne l'ayez vu venir. Sans que vous ne puissiez rien y faire.

Alors ça s'en va. Tout son visage noyé, rougi, le gras au bord du nez qui coule jusqu'au menton. Il renifle, ravale ce torrent mais ça encombre ses poumons qui font faire demi-tour au sel et finalement ça donne cette expression toute déformée sur la figure d'Albrecht.

Il pleure.
Comme quelqu'un qui ne s'est pas autorisé à pleurer pendant trop longtemps. On ne croirait pas qu'autant d'eau puisse glisser comme ça, il va s'assécher Albrecht ce n'est pas possible autrement. Les doigts accrochés quelque part dans le dos de Dani à vouloir y tordre quelque chose on ne sait pas quoi. Cramponné à cette peau chaude cette voix humaine qui dit je reste et qui fait fondre en lui toutes ces parois cette forteresse de solitude, ça s'en va ça coule ça revient en mille déluges. Museau niché dans le creux du cou à y délaisser la liqueur des sentiments le ravage et la tristesse. Il y sent en même temps le parfum de Dani et comme c'est étrange ce mélange de rose et sel.

À ses yeux bleus devenus des vitres qui pleuvent sans cesse on y voit passer le flot la tempête les intempéries qui soulèvent les champs et balayent les mers. Et en plongeant vraiment dedans on s'aperçoit que d'en sortir il est très difficile, ça avale tout comme Albrecht a fait avec la tristesse pendant tout ce temps.

Ses acromions tressautent encore sous le hoquet d'un sanglot. Le tablier de travail, ah, ce n'est pas bon, il est trempé aussi. Du bout de ses doigts accrochés comme les pattes d'une araignée il a sûrement renversé beaucoup d'eau aussi là dans le dos de Dani. Alors que les bustes s'éloignent il y a la surprise de ce baiser estampillé sur son nez, ses pommettes, ses tempes son menton son front tout y passe, vraiment tout sauf le plus intime des écrins par où passent la vérité et le mensonge à la fois.

Il doit vraiment s'être mis à pleuvoir pour qu'il voie aussi trouble Albrecht, même ses mèches blondes se sont collées à sa peau comme des tentacules, comme des adhésifs trempés qui rendent plus lourd. Il se demande si Dani n'aurait pas un peu de ce quelque chose de saint et sibyllin qu'ont les mères dans leur regard. Peu à peu la peine se fait chasser par un revers de la main, de la manche de pull tirée oui toujours. Il renifle, renifle encore, ravale le gras ce n'est pas très propre et beau à voir mais tout voir couler ça suffit c'est assez.

- Dé... désolé. Dans ton dos, j'ai sali je crois.

Ah c'est toujours aussi formidable ça le nettoyeur qui est hirsute lui-même, cordonnier mal chaussé et barbier mal taillé. Tout de rouge ses joues se sont fardées comme si la fièvre ou quelque chose du genre et plus furibond était passé par là pour s'abattre un peu partout sur cette peau laiteuse où grouille une infinité de points impossible à tout compter.

Le papier, la preuve n'existe plus et pourtant le mal est toujours tapi là, sous la peau et c'est bien ça le pire des maux. Gratter, gratter longtemps et plus fort en se disant oui ça va partir non ce n'est pas moi qui sent comme ça qui sent la mort et le remord.

- Il y a longtemps... Nous, les Edelstein, avons participé à la guerre.

Ce récit, si long à débuter, si difficile à raconter, si dur à se rappeler, comme si dans les tranchées Albrecht avait vraiment été. Et pourtant Dani, il faut qu'elle sache. Qu'elle comprenne d'où vient le chagrin.