another day in paradise (violence/sexe)

Rêve vaporeux.
Des épis de maïs.
Des champs à perte de vue.
Un murmure.
« Albrecht »
La dernière lucarne avant la venue de Morphée.
Il s’est assoupi dans ce brin d’herbe, ce blé jeune.
Sommeil du juste.
Les battements de cœur de son compagnon.
Pour une durée infinie.
Douce mélodie.
Il se perd dans l’odeur de l’enfance.
Ephraïm se repaît de cette paisible insouciance.
Le soleil luit sur la tête de ces gisants.
Soudain. L’air change de couleur.
Il est chargé d’éclairs.
De maux incomparables.
La tête sur une pierre tombale.
Cognent les mots infâmes.
Silhouette au-dessus de lui.
La langue vire rouge insolente.
Vipère sortie du nid.
Ephraïm sursaute, émet un gémissement désespéré.
Il ne supporte pas qu’on le tire si violemment de sa torpeur adolescente.
La colère le submerge.
Ne le chassez pas.
Il ne le mérite pas.
Il veut retenir le garçon damné de la main.
Ce même garçon à l’allure vénérable.
Il est vivement relevé comme malmené.
- Laissez-le tranquille.
Le ton est plus brutal qu’il ne l’aurait cru.
- Vous devriez moins écouter les sermons de mon père.
Une pique ardente.
Un fouet qui claque.
Il ne retient pas sa fureur.
Le poing serré.
- Viens, Albrecht.
Aplomb démesuré.
Même pas peur que cette folle susurre ses vilénies aux oreilles du pasteur.
Fuyons cette foire humaine.
Elle va finir par ameuter tout Stevenson avec ses jérémiades.
L’évasion improvisée dans les allées.
Les ruelles s’enchaînent.
Les poumons souffrent, totalement à court d’oxygène.
Un immense hêtre les met à couvert de ses branches.
- Je te protégerai de ces mécréants, je te le jure.
Ils ont le mal en eux, tu as le bien en toi. Moi, je l'ai vu cette nuit.
Un justicier de l’ombre.
Il a toujours eu ce rôle.
Auprès de sa famille, de ses amis.
Il en a pris des coups à place des autres, avec bon cœur en prime.
Il ne le laissera pas dans ce péril.
Il a les mains sur les épaules de ce garçon blême.
Il fait une promesse devant Dieu lui-même.

☾ ☾ ☾

La honte qui s’abat sur son ami le fait fléchir.
Une nuit de trêve.
La réalité en plein jour.
Le cimeterre planté en travers.
On les croirait juchés sur un bûcher des vanités.
Ephraïm veut exorciser ce mal.
Comment réconforter l’oiseau aux ailes brisées ?
Dieu, exauce mes prières.
Je t’en supplie.
Il a le cœur en ébullition.
Les sens privés de raison.
Retour à la case départ.
Lui aussi, alors, il ne pourra pas le sauver ?
Lui aussi, il ne pourra pas l’aimer à temps ?
Les pensées bousculées, effondrées.
Comme un vulgaire château de cartes.
Le cœur écaillé.
En cape et d’épées.
Ephraïm veut se réveiller à nouveau.
Ressentir encore les pointes de soleil sur sa joue et celle du garçon à ses côtés.
Ressentir l’étreinte des épaules et des chevelures.
Ressentir les genoux humides de rosée matinale.
Cette vacuité l’ennuie.
Il est impuissant.
Ça le met hors de lui.
- Elle a tort.
Clame le brun.
Il a des valeurs bien plus élevées.
La voix est forte.
Il veut crier.
Il ne peut pas.
Il a l’impression d’être funambule au-dessus du vide.
Frustration immense.
- Il faut que tu commences à t’aimer, Albrecht.
Ce nom allemand qu’il commence à chérir, il ne cesse de le répéter.
Il en rougit presque.
Ephraïm raffermit sa prise sur les épaules.
Il tient bon.
Il ne lâchera pas, même pas d'un millimètre.
- Je…je t’apprécie. J’ai envie de mieux te connaître.
Laisse-moi te protéger.
Laisse-moi t’approcher.
Laisse-moi t'adorer.
Laisse-moi te faire oublier les mots-poignards.
Promets-moi que tu me laisseras faire.
Son visage est si près du sien.
Son compagnon doit voir l’entêtement du jeune téméraire.
Il doit y lire l’audace et la foi qui le gouvernent.
Les fronts se touchent.
Le noir et le blanc s'entremêlent.
- Je veux te prouver qu’ils sont tous dans l’erreur.
Tu as le droit d'aimer qui tu veux.
Il est ce garçon qui n’a peur de rien.
Même pas de la mort, même pas de l'amour interdit.

☾ ☾ ☾

Le tribut à payer pour vivre de lucioles dans une chambre noire.
Les larmes pourraient recommencer à couler.
Ruisseaux transformés en cascades.
Mais pas pour les mêmes raisons.
Il a le fer dans le poing.
Il serre à se faire mal.
Ephraïm prend le revers des gens.
Il est coupant.
- Tu veux vraiment que je m’en aille ?
Toujours un peu brusque, involontairement.
Lion rugissant.
Est-ce son désir profond ?
D’abandonner toute lutte ?
Ou une faille dans un système mal réglé ?
Ce fils de croyants est la poussière dans l’engrenage.
Il ne partira pas en un coup de vent.
Sauf si l’autre l’exige.
Si c’est un vœu qui lui est cher.
Il a le droit d’en douter.
Ce brasier intérieur ne s’éteindra pas si on souffle dessus.
- Si j’aime quelqu’un, on voudra aussi m’en empêcher.
La peur est légitime.
Il a le corps démantelé.
Il ne survivra pas longtemps.
Il a les tempes fulminantes.
Un jour, il aura un geste imprévu.
Une action irréparable
Ou bien il sera enterré dans le jardin.
Parmi les oubliés.
- Mais libre à moi, à nous, de déroger aux règles, tu ne crois pas ?
Est-ce qu’on va se laisser freiner ?
Est-ce qu’on va se laisser mettre des chaînes aux chevilles pour le restant de nos vies ?
C’est si court, ligne qui cède aux caprices d’un destin facétieux.
Un baiser qu’il dépose comme une plume sur le front parsemé de mèches citronnées.
- Je te raccompagne chez toi ? On s’inquiète peut-être…
Il reste évasif.
Il ne veut pas trop s’avancer.
Chez lui, son père n’aura rien remarqué.
Rien n’aura changé.
C’est cette immobilité qui dérange tant Ephraïm.
Personne ne se soucie réellement de lui.
Ce simple contact du front lui redonne quelque espérance.
Chassant la buée sinistre.
Trouvant une bouée opportune.
Il remet ses mains dans ses poches, reprend un ton badin.
Admirable pirouette.
Il en use et abuse souvent.
- On se reverra, n'est-ce pas ?
L'expression d'une prophétie.
Un sourire en coin, un peu bandit.
Il lui manque le bandana, la voix rocailleuse.
Il tend la main, celle-ci n'est plus celle de la veille.
Elle ne tremble plus.

☾ ☾ ☾

Inconsistance, fragilité.
Relation qui ne tient qu’à fils tendus.
Axone dérisoire.
Pourtant, une solide interaction.
Des mains tendues, des cadenas.
Qu’on verrouille minute après minute.
Un peu plus fermement.
Le refus de le laisser partir.
Un soulagement qui se déploie.
Cette décision concrétise quelque chose.
Albrecht sait ce qu’il veut.
Une romance sans paroles.
Légèreté à chaque pas.
- Pour vivre heureux, vivons cachés.
Carpe diem.
Epicure, notre idole.
Une vie dans les bois, dans la simplicité.
Dans la délicatesse d’un moment.
Partagé.
Rotation vers l’avant.
Les doigts soudés.
Il est en proie à l’exaltation.
Comme quand il communie avec son Seigneur.
Une liesse administrée directement dans le corps enjoué.
Il est pressé, propulsé vers l’avenir.
- Il est encore tôt, je ne veux pas déranger.
Annonce-t-il, en voyant la demeure imposante.
La politesse est ancrée en lui.
Il ne veut pas qu’on le rejette dans les vagues tumultueuses.
Il ne veut pas s’imposer dans une communauté qu’il ne connaît pas.
Un matin qui ressemble aux autres matins de fleurs tombantes.
De nids gazouillants.
De soleil endeuillé.
De rires cristallins.
L’heure où s’activent travailleurs et bambins.
Dans les chaumières-fourmilières.
Mais le cœur moins lourd.
Ephraïm hésite, ne sait pas s’il a le droit de passer le seuil.
Il peut vraiment être accepté par une autre famille ?
Il peut appartenir à d’autres qu’à un père-bourreau ?
Il ferait mieux de rebrousser chemin.
De retrouver plus tard l’Allemand aux airs d’albinos.
Il attend son consentement avec déférence.
C’est à son compagnon de juger la situation, tandis qu’il s’en sent incapable.
Les bras ballants, nageant en eaux troubles.

☾ ☾ ☾

Trop tôt, trop tard.
Ephraïm cherche une escapade et un refuge à la fois.
Il oscille sur la pointe des chevilles.
Le réel le rattrape un peu vite.
Il fait non de la tête.
Il n’est pas crispé.
Même si ses bras raidis le trahissent.
- Tu ne me forces pas, Albrecht. Je suis là de mon plein gré.
Il voudrait encore enlacer cette main.
Cette douceur, cette caresse, l’empoigner.
Pour se nourrir d’un courage qui le largue en plein vol.
Il est rongé de l’intérieur.
Entre l’envie de fuir et l’envie de céder à ses propres caprices.
Les dilemmes s’enchaînent.
Il n’a pas un temps de réflexion suffisamment long.
Il ne veut pas dire n’importe quoi.
Il fronce les sourcils, regarde fixement cette porte close.
Il est allé si loin, il ne peut pas faire demi-tour.
- Allons-y, je suis prêt.
Il se décide, fait un pas en avant.
Rester en arrière ne sert à rien.
Il ne veut pas passer pour un lâcher après toutes ses promesses.
Tous les mots encourageants pour évacuer les peurs de l’Allemand.
Il ne peut pas se dégonfler ainsi.
Il n’en a pas le droit.
Il culpabiliserait sinon.
- Je veux connaître ton monde à toi.
C’est la curiosité qui prend le pas sur toutes les appréhensions.
Ephraïm se redonne une contenance.
Il détend ses épaules.
Inspire et expire une goulée d’air frais.
Il peut vaincre des adversaires bien plus coriaces.
Pourquoi pas ça ?
Pourquoi pas se mêler à d’autres ?
Il peut bien faire cet effort.
Ne sachant pas s’il pourra amener Albrecht chez lui un jour.
Peut-être quand l’ogre sera absent.
Il essaye de ne pas trop y songer.
La surprise est entière.
La porte s’ouvre enfin.

☾ ☾ ☾

Matin brun.
Victuailles délaissées.
Cuisine esseulée.
Les vestiges d’un passage.
Solitaire.
Son garçon solaire est son guide.
Il le suit, marche dans son ombre.
Se sent parasite.
Refoule les terreurs dans sa gorge.
N’ose plus dire quoi que ce soit.
Dans son habit du dimanche.
Son costume de moine.
Trop bien nippé.
Comme déguisé pour une fête décalée.
Le col de sa chemise le serre un peu.
Il s’assoit.
Automate bien réglé.
Ses yeux clignent doucement.
Il photographie la nouvelle contrée.
La voix d’Albrecht anesthésie ses pensées.
Il se laisse porter.
Flottaison chancelante.
Les flots épuisés, barrière de corail.
- Un peu d’eau, merci bien.
Et du pain ?
Ce cliché jésuite.
Il a presque failli l’ajouter.
Il est d’une simplicité ecclésiastique.
Il s’habitue.
Le Carême, les doctrines théologiques.
Il est totalement embrigadé depuis sa naissance.
Manger peu, nourrir l’essentiel : l’esprit saint.
On pourrait l’envoyer en plein désert.
Ephraïm est paré.
Ce silence dans cette demeure l’effraye presque.
Il n’entend pas les cris des garçons courant en tout sens.
Dévalant les marches de bois.
S’arrachant laines et tricots, boutons roulant au sol.
Café fumant dans les six tasses.
C’est si agité un matin chez les Woolf.
En tout cas, ça l’était.
L’un d’eux est parti du foyer.
Créant la zizanie.
- J’aimerais beaucoup voir ta chambre…
Il formule le vœu avec une piété déroutante.
Puisqu’il est là, autant explorer ce labyrinthe de murs blancs.
Albrecht vit aussi, dort ici.
Appose son odeur printanière.
Il veut en voir plus.
Curiosité insatiable.

☾ ☾ ☾

L’eau l’affranchit un peu de son mutisme et de sa timidité.
Il essaye de faire semblant d’être à l’aise.
Même s’il reste le dos droit, collé contre le dossier de la chaise.
Une gorgée de plus.
Les jambes n’ont plus de fourmis.
Les bras se portent mieux aussi.
Il emboîte le pas à son ami.
Il fait preuve de discrétion.
On dirait qu’il ne veut pas qu’on les découvre ici.
Sur la pointe des pieds.
Fenêtre sur chambre.
Abri de l’enfance, des joies anciennes.
Des peines de cœur.
Des jouets vivants.
Des bibelots gardés tout contre soi.
Une série incroyable de vinyles se profile devant les yeux ébahis du jeune homme.
Il n’en a jamais vu autant.
Il est presque contrarié.
Il n’y connaît rien.
Mis à part les Ave Maria de papa.
Le reste à la radio-pirate.
Les oreilles des frères collées à l’habitacle ronronnant.
Au Dinner qu’il retrouve des sons connus de tous, méconnus de lui.
- Cette chambre te sied bien.
Tout est conforme.
De l’illusion à la réalité.
Il aurait pu cartographier la pièce de la même façon dans ses rêves.
Tout convient à Albrecht.
Jusqu’aux posters accrochés.
La chambre du fils du pasteur est bien plus sobre et pieuse.
Beaucoup de livres sur les étagères.
Des titres rébarbatifs pour la plupart.
- Je peux ?
Il s’assoit religieusement sur le lit.
Touche les draps avec un léger frémissement.
Cette intimité passagère.
Il peut le voir recroquevillé dans le tissu soyeux.
- J’aime beaucoup l’ambiance de ta chambre.
Il commence à se détendre vraiment.
C’est confortable.
Les couleurs et les objets qui habitent la tanière le ravissent.
- Fais-moi découvrir une de tes chansons favorites.
Mélodie qu’il attend impatiemment.
Il tend déjà l’oreille.
Ils sont dans leur bulle, loin des tumultes de dehors.
Loin de la foule déchaînée.
Loin des insultes placardées.
Ephraïm prie pour que ce moment reste intact.
Verre poli et brillant.
Cristal incassable.

☾ ☾ ☾

Merveille musicale qui s’élève dans ce berceau joyeux.
Ephraïm n’est pas du genre à se trémousser.
Il n’a jamais dansé.
Même au bal du lycée.
Peu enclin aux fêtes.
L’envie enfouie, mais pas le don pour ça.
Pas l’audace.
Aucune aisance dans les membres.
Souple comme le tronc d’un arbre.
Il écoute les sons endiablés.
Impassible d’abord.
Puis sa jambe suit le rythme.
La tête tangue.
Il y prend goût.
Ivresse du moment.
Un espace privé de liberté.
Cela le réjouit.
Mais il n’a pas encore le cran de prendre les mains du garçon immaculé.
De tournoyer ensemble.
Il reste assis, savoure quand même.
- Merci, j’aime beaucoup Albrecht.
Il se lève, s’approche du blond.
Il pose son menton sur son épaule, touche sa joue.
Indécence sournoise.
Il chuchote dans l’oreille.
- Tu aimes danser ?
Il l’enlace doucement.
Il se colle contre ce dos délicat.
Balance son corps rigide.
S’accorde au tempo.
Irrégularité des battements de cœur.
Tout contre lui.
Il a finalement brisé les chaînes qui le retenaient.
Il se débarrasse de sa soigneuse timidité de bon chrétien.
Il enferme l’Allemand dans ses bras.
Une assurance qui le dépasse.
Ferveur renouvelée.
Alourdie par des désirs inaccessibles.
Fanatiques.
- Je ne sais pas où tout ça va nous mener.
Je veux juste être avec toi.
La frontière entre l’amitié fusionnelle et l’amour charnel.
Triomphe ou faiblesse.
Il ne veut pas encore avouer les sentiments qui le harcèlent.
L’inclination récente.
Tout va très vite.
Ephraïm ne fait que suivre les mouvements désordonnés du cœur.

☾ ☾ ☾

Cœur-crampon.
Cape d’éther.
Le satin de sa peau.
Les mèches blondes florissantes.
Le pourtour de ses lèvres.
L’écrin qu’il capture.
Les doigts qui viennent chercher les siens.
Une union qui n’est plus factice.
Une union incendiaire.
Une éclaircie.
Le souffle plus bruyant d’un coup.
Les pommettes rougies le font sourire.
Plaisante offrande.
Le mot « bizarre » surgit.
Il ne s’y attend visiblement pas.
Il se demande s’il doit le prendre comme un compliment.
Le ton est un murmure marin.
D’écume flottante.
Invitation aux abysses.
Il est envoûté, charmé.
Chant des sirènes.
- Je n’ai jamais embrassé quelqu’un.
Toujours aussi poli et prudent.
Le tact des enfants.
La naïveté du garçon brun.
Il cherche des signaux.
Il fait une expertise d’abord.
Il pose un doigt sur les lèvres attendrissantes.
Il touche l’interdit.
La musique s’éteint.
Un grésillement tout au plus.
Un bourdonnement.
Mais qui ne vient pas du tourne-disque.
Dans sa tête à lui.
Dans ses oreilles battantes.
Dans sa poitrine, ça veut sortir.
- Me laisseras-tu…
Il fait un premier pas.
Quelques centimètres seulement.
Vers les lippes du blond.
Il retient son souffle.
N’ose pas encore.
Sent son corps s’engourdir.
Il a peur de mal faire.
De laisser les portes infernales s’ouvrir.
Se déchirer.
Se fendre.
Fissure délectable.
Plus rien ne peut le retenir.

☾ ☾ ☾

Révolution dans ce corps d'éphèbe.
Vibration intérieure.
Dynamite impalpable.
Baiser adulé.
Acidulé.
De miel.
Une première escapade en terrain inconnu.
Humidité et toucher délictueux.
Plaisir coupable.
Soif d’un peu plus.
Désir fautif.
Vouloir s’égarer davantage, volontairement.
Entre quelques fils blonds, fils des Parques.
Destinée outragée.
On s’accomode vite de l’illicite.
Ephraïm le serre encore plus fort.
Les bras comme deux empires.
Il lui fait face.
Il renaît.
Comme baptisé.
Sortant de l’eau bénie où il était plongé toutes ces années.
Il veut rompre ce silence amoureux.
Mais les mots sont piégés.
Il est incapable d’émettre le moindre son.
La platine dans le vide.
Restent les gestes.
Les incartades.
Ces jeux de mains.
Coincés dans l’alcôve.
Ephraïm l’amène jusqu’au lit, s’allonge à ses côtés.
Enfouit son visage dans son cou.
Immobilité familière.
La nuit dernière.
Il passe une main sous le chandail.
S’aventure, se perd dans la froide cellule.
La peur se dissout.
L’instinct régit tout.
Cette page blanche.
Sur laquelle il veut graver son nom.
Des arabesques sur le torse.
Seule entreprise qu’il hasarde.
En plus de quelques embrassades chastes.
Il se surprend à se laisser aller.
Tout en gardant des limites.
Refoulant la fougue du novice.
Initiation à deux.
Démonstration de la vie.
Sous l’emprise de l’amour.

☾ ☾ ☾

Insaisissable lieu de villégiature.
Le temps retrouvé.
Entre ses bras blancs et les baisers volés suspendus.
Les méandres bleus.
Les yeux-mirages.
Les cils transparents.
Si près qu’il peut les voir se fermer, s’ouvrir.
Dans la lumière.
Dans l’aube fumigène.
Croquer le fruit.
La pomme d’Adam.
Sentir chaque creux.
Chaque océan.
Palper du coton.
Ephraïm sent les éraflures sous ses paumes, ne s’en soucie guère.
Il adore déjà tout ce qu’il voit et touche.
- N’aie jamais honte en ma présence.
Il n’en démordra jamais.
Il est plutôt fier et impudique d’un seul coup.
Une cathédrale qui se redresse.
Sous les vêtements.
Excitation dans ce pli délicieux.
Dans l’aine concave.
L’on s’abîme ensemble.
Frottement des entrejambes.
Pics de douleur exquise.
Enivrante danse des amants.
- Je te désire.
Les paroles homériques.
Scène épique.
Le glaive vers l’avant.
Soubresaut au moindre contact.
Caresse lascive des ventres.
Albrecht se livre un peu plus.
Enfin, péché de la possession.
Passion à enfreindre.
La veste noire chute.
Ephraïm déboutonne sa chemise.
S’en défait comme d’un drap blanc.
Soulève les dernières murailles du blond.
Les torses nus et les mains baladeuses.
La pureté dévastée.
Découverte au grand jour.
Il s’adonne à ce défi.
Exaltation des sens.
Il fraye avec un ange, ça ne peut pas être le mal.
N’est-ce pas ?
Une main qui descend plus bas.
Couleuvre qui se meut.
S’enhardit.
Brûlure fulgurante.
Geste déplacé, barrière morale.
Obscène cavalcade.
Et toujours avec l’alanguissement pudibond qu’on lui connaît.

☾ ☾ ☾

Synthèse des épidermes.
Ascension certaine.
Cette expectation impétueuse.
Furieuse transmission de soupirs langoureux.
Ephraïm a l’air d’être habile.
Vivacité des gestes.
Mais il se sent comme un jeune effarouché.
Ne sachant pas précisément ce qu’il faut faire.
Comment réagir.
Comment aimer.
Sans les mots.
Juste par la peau.
Il se fie à son raisonnement animal.
Une caresse douteuse, un gémissement indéniable.
Albrecht et ses convulsions.
L’archer sur le violon.
Instrument à manier précautionneusement.
Le loup se régale de ce bassin qui se tend.
Il s’apprête à aller au-delà de ses attentes.
Il ne pensait pas que viendrait une telle frénésie.
Un tel attachement pour un garçon qu’il connaît si peu.
Or ce lien est durable.
Il garde cette pensée en lui.
Il déshabille l’autre.
Bacchanale démesurée.
Lésion sauvage.
Cage thoracique qui étouffe.
Sous l’étreinte.
Sous la douceur des draps.
Les pantalons à terre.
Et les atermoiements expédiés.
Comme sont expédiées les dernières cuirasses.
Palper du bout des doigts l’intimité d’un autre que lui.
Il s’est déjà touché.
Comme le font les garçons.
Mais lui, sans doute moins que d’autres.
Chair défendue.
Inaccessible.
Cette fois rendue possible.
Consentement absolu.
Le désir distillé.
Centralisé.
Il s’éprend de cette nudité immolée.
Il s’en saisit.
Bord d’un précipice inavouable.
L’étendard levé qu’il cueille d’une main chevaleresque.
Il a presque peur qu’Albrecht s’empare de lui.
Il a peur de ne pas résister longtemps.
Il a peur de sa mâle condition.

☾ ☾ ☾