another day in paradise (violence/sexe)

- C’est trop flashy.
Verdict qui tombe.
La main au colback.
Il n’a rien vu venir.
Main revolver.
Poigne ferme, inflexible.
La chemise déchirée, les boutons s’éparpillent.
Lucioles roulant sous les meubles en chêne.
- Tu sors pas comme ça.
La baffe qu’il se prend.
La soirée commence bien.
Joue rougie.
Il ne peut plus sortir comme ça.
C’est insensé.
Il s’est pris une porte ? Excuse bidon.
Il voulait juste voir des amis dans sa nouvelle chemise avec un style un peu coloré.
Faire comme eux, ça, personne ne peut comprendre.
Ce vœu de faire partie du décor, être normal.
Un simple gosse de vingt-deux années foutues.
Il était pourtant fier devant son miroir.
Il faisait le paon, acclamé par ses frangins.
Vas-y ose et…prends-toi ça…
Icare aux ailes calcinées.
Il a volé trop près de son père.
Ce n’est pas la première ni la dernière.
Ephraïm ravale ses larmes sèches.
Il a la gorge en feu.
Il boit de l’air.
Chasse de ses poumons ses envies meurtrières.
Il se tait, baisse les yeux alors que le ton monte.
Il va se changer, revêtir la tenue sobre, l’uniforme terne.
Même ça on ne lui permet pas.
Il est trop tard.
Les potes n’ont même pas osé sonner à sa porte.
Ils ont dû entendre le cri du Goliath.
Ils ont pris la fuite, faut pas leur en vouloir.
Il sort quand même, l’humeur au fond des poches.
Le monde tourne, lui stagne.
Il se frotte la joue endolorie.
Mâchoire contractée.
Il court dans le noir jusqu’à atteindre l’église.
Il a les clés dans la main.
Il les a chapardées.
Besoin du repos éternel.
La lune est morte dans les vitraux désenchantés.
Il hurle comme un loup après sa meute.
L’écho résonne longuement.
Il échoue au milieu, sur le marbre, triste sire.
Il perd le temps, une heure ou deux, dans cette même position.
Genoux meurtris.
Il chuchote des prières rassurantes.
Il s’interrompt.
La porte de l’église grince dans son dos.
- C’est fermé.
Il ne se retourne pas.
Il se sent trop pathétique.

@Albrecht Edelstein

☾ ☾ ☾

Il a le mal en lui Ephraïm.
Une torche humaine.
Un vrai délinquant dans le fond.
Il maudirait bien cet insolent.
Ce clown qui trompe le silence.
Qui lui dédicace sa sainte parole.
Ce « ça va » qui coule sur lui.
Comme le Styx.
Aveugle dans son courroux.
Pas d’espoir pailleté ici bas.
Il relève sa charpente, toise de loin l’autre.
Un blond qu’il a peut-être croisé au lycée, autrefois.
Regard fuyant, épaules voûtées.
Il est sûrement passé devant lui sans faire vraiment attention.
Lui, il doit savoir se fondre dans une foule.
Lui, il a l’air discret, commode, sincère.
À lui, il peut peut-être dire des mots et des rancunes, des regrets et des infortunes.
Lui seulement lui, ou Lui, le Dieu qui pardonne, le Dieu au-dessus de leurs têtes.
Cessent les cris intérieurs.
Cesse le vacarme inhumain.
Voix étranglée.
Un bâillon sur les lèvres.
Le corps en haillons.
- Non, restez.
Étouffement.
Il s’égare, s’éparpille, regard perdu.
- Que la paix soit avec vous.
Et avec votre esprit.
Il répète les mots bien appris.
Il ne peut interdire à personne de venir dans la maison du Seigneur.
Tout le monde a sa place.
Il a les clés encore en main, mais ici, c’est toujours ouvert, il avait oublié.
Ce ne sont pas les clés du paradis qu’il détient.
Ephraïm s’avance, retrouvant un semblant de calme.
Des tremblements dans les jambes le trahissent pourtant.
- J’ai l’air d’aller bien ?
Cernes allongées, teint pâle, vision cauchemardesque.
Zombie ou vampire, faites votre choix.
Il voit l’émerveillement chez l’autre.
Les lieux saints ont un effet apaisant dit-on.
- Vous êtes venu prier ?
Maintenant c’est lui qui se sent de trop.
Il sent qu’il dérange un fidèle.
Il doit s’en aller.
Il ne veut pas montrer qu’il est vulnérable.
Il ne veut pas montrer sa honte.
Cette joue vermeille.

☾ ☾ ☾

Il s’adoucit.
L’autre est agneau, lui est pécheur.
Ephraïm se tient à un banc.
Il a peur de chuter comme Lucifer.
Il aime le bois.
Il aime la chaleur de la matière.
Qui a dit qu’une église était froide et repoussante ?
Ce lieu est loin d’être glauque avec ses chants et ses cristaux colorés.
- Ne soyez pas désolé. Je l’ai mérité.
Il est persuadé que les foudres doivent s’abattre sur lui.
Coupable désigné.
Il se rend.
Dépose les armes.
Lointaine est la sédition.
Il se soumet à la punition divine.
Il s’approche un peu plus pour dévisager le blond.
Mal à l’aise lui aussi.
Ephraïm courbe le dos.
Il n’a rien d’intimidant.
Sourcil troublé.
- Jamais ?
Aveu qui le fait frémir.
L’église est sa première maison.
Le toit qui accueille chacun d’entre nous.
Il se reprend, brise les tabous.
- Vous ne croyez pas ?
Il tremble jusque dans les bras.
Colère qui refait surface et qu’il canalise péniblement.
Il se contient.
Pas le moment de péter les plombs.
Il n’est vraiment pas dans son état normal.
Soir sans lune.
Mais il voit bien que la sainteté l’intrigue.
Il y voit une curiosité innocente.
Ils sont proches et éloignés.
- J’ai la foi, je…je suis le fils du pasteur.
Confession à mi-mots.

☾ ☾ ☾

La question se loge comme une balle entre ses deux yeux.
Insouciance ou ignorance.
Là, comme ça, tu m’demandes ça.
Cierges qui s’éteignent.
Aucun ménagement.
Pas de parade.
- Croire c’est…
Les mots se chevauchent, aucun ne veut sortir.
Bredouillement incompréhensible.
Seulement les larmes indélébiles.
Les débiles floraisons.
Il pense au Père, au saint Père, aux frères bleuis.
Il pense aux souffrances endurées.
- Ça soulage les plaies.
Il a encore mal.
La joue est gonflée.
C’est le réconfort d’un phare en pleine nuit.
C’est le bout du couloir illuminé.
Croire.
Une illusion dorée.
Une attraction pour les autres.
Mais pour lui, unique gloire.
- Ça ne protège pas contre les coups.
Ça emmure le mental.
C’est l’acier de la forge plongée dans l’eau gelée.
Le mal remonte à la surface, paralyse.
Ephraïm ne comprend pas lui-même.
Il prend l’autre dans ses bras.
Il a besoin de chaleur humaine.
Les larmes continuent leur course folle dans la nuque du blond.
Il le serre fort.
Il veut sentir un cœur qui bat.
- Ça me tue.
Son père, les ecchymoses.
Le corps brindille.
Sans armure.
Il ne retient plus la rivière tourmentée.
Le flot est discontinu.
Il s’effondre contre l’autre.
Béquille fragile.
Toi aussi, tu vas me laisser tomber ?

☾ ☾ ☾

L’autre ne ploie pas, même pas le genou.
Pas de mots, mais le soutien corporel.
Ephraïm est reconnaissant.
Il a besoin de s’épancher.
Il se sent seul, désoeuvré.
- Merci.
Il ne veut pas quitter ce cou, cette chevelure blonde.
Brise dans un champ de blé.
Incendie dans le cœur.
Cette bouée de sauvetage, pour la première fois.
Il ne veut pas quitter ce rivage doucereux.
Cette lueur céleste.
- T’es un ange ?
Il ne le lâche pas.
Ça dure, dans ce silence d’outre-tombe.
Soudain, il prend conscience de l’absurdité de son geste.
Ephraïm se recule à contrecœur.
- Je suis désolé. Je ne voulais pas…
Pas quoi ?
Montrer un pan de la vérité, de la honte sur ses mains ?
Les larmes amères ?
La mer agitée en lui ?
Il est plus fort, il ne regrette pas.
Ressource fulgurante.
Il quitte les bras bénis.
Il sort dans la nuit étoilée.
Il marche sur le parvis.
Il regarde les hauteurs des cieux.
Qu’est-ce qui m’attend si je rentre ?
Il veut parler, se taire, parler.
Il consent à écouler le temps avant de retrouver le foyer délétère.
- Tu n’as jamais songé à fuguer ?
Qu’il lance au hasard.
Il suffirait d’aller tout droit, toujours tout droit.
Il se questionne lui-même ou bien s’adresse-t-il vraiment à son sauveur ?
Il a finalement trouvé la paix.
Ne serait-ce que le temps d’une étreinte incertaine.

☾ ☾ ☾

Lui aussi alors c’est un être-départ.
Ou un gars à part ?
Lui aussi veut s’envoler, prendre un ticket aller sans retour.
Ephraïm a déjà rêvé de monter dans un train au hasard ou de faire du stop sur une route sinueuse.
Il est un enfant perdu.
Il ne veut plus de ce sursis avant qu’un coup de trop ne lui prenne la vie.
Ne plus regarder derrière soi.
Ne plus sentir la violence des poings.
S’enfuir dans la nuit, là, juste tous les deux.
Prendre la main d’un inconnu et disparaître.
Ne faire qu’un avec les ombres.
Histoire de vieux grimoires.
Quitter cette terre en bonne compagnie.
S’éloigner du bourreau.
- Je les aime et les protège. Tous mes frères.
Il a peut-être raison dans le fond.
Ça lui incombe : la famille.
Le noyau de son existence.
Il ne peut pas les abandonner.
Lâcheté qu’il exècre.
Il devrait se faire battre l’autre joue pour avoir songé à s’éclipser.
Il a des responsabilités.
Il est le dernier et le plus vaillant.
Mais il prétend aussi accepter les collisions sans sourciller.
Alors qu’il trouve refuge dans la solitude d’une église.
Dans les bras d’un homme-enfant.
Il a encore mille questions.
Il tue le temps à petit feu.
Il ne veut pas faire demi-tour, retourner dans l’antre du monstre.
- C’est quoi ton péché dis-moi ? Tu n’es pas là par hasard, j’en doute.
Il a sûrement des choses à se reprocher ce garçon à l’âme pure et aux bras trop blancs.
Presque translucides.
Si bien qu’on voit à travers lui.
Comme un fantôme d’antan.
Un esprit magique.

☾ ☾ ☾

Ephraïm le dévisage.
Ce péché de vivre.
Le péché de l’envie.
Le péché du désir.
Le pire des péchés.
C’est donc ça.
- T’es un Edelstein.
Il oublie les visages et les noms.
Il s’en fiche.
Cruelle barbarie dans sa propre famille.
Il y a peut-être pire chez les autres.
Chez lui, l’Enfer.
Chez lui, le crime.
La mutinerie.
L’acouphène.
La pluie d’hématomes.
Les meurtrissures quotidiennes.
Le goût cuivré du sang sur la lèvre inférieure.
La candeur dorée qu’il regarde.
Si ingénu, si vierge de toute forme de violence.
- Tu portes mal ce nom.
Nom entaché.
Nom à la connotation préjudiciable.
- Ce n’est qu’un nom. Ce n’est pas toi.
Calomnie du nom.
L’autre Montaigu.
Ephraïm Capulet.
Les familles ennemies.
La querelle éternelle.
Le fils du pasteur avec le fils du nazi.
Alliance loufoque.
Aberration de la nature.
- Allez, viens.
Il attrape la main, l’entraîne.
Rire sot qui résonne.
Nuit fleurie.
Il court à perdre haleine.
L’autre dans son sillage.
- T’es mon otage.
Ephraïm trébuche, s’étale dans l’herbe d’un jardin d’Eden.
Parc misanthrope qui accueille la jeunesse inséparable.
Rire de mousse.
Fraîcheur verte.

☾ ☾ ☾

L’autre n’est pas à l’aise avec son passif.
Le fils du pasteur peut le comprendre.
L’Histoire est manichéenne.
Les gentils, les méchants.
Les victorieux et les mécréants.
Les noirs, les blancs.
Distinction qu’il ne fait pas cependant.
Il ne veut pas voir l’apparence polluée par mille préjugés.
Il veut lire entre les lignes.
Il veut gratter la surface.
C’est un garçon lunaire.
Un garçon avec plumes et auréole.
Naïveté indestructible.
Attractive rédemption.
Il ne voit pas les chambres à gaz ni les murmures du passé.
Il lui laisse le bénéfice du doute.
Il est comme soûl, Ephraïm.
Il compte les étoiles dans le ciel éméché.
Il ne lâche pas cette main fragile.
Il a les doigts comme transportés.
Nuage de joie.
- Je ne fais jamais ça.
Gaieté contagieuse.
Le brouillard est passé.
Il chasse les épisodes tragiques.
Leurs épaules se touchent.
Il a besoin de cette présence.
Point lumineux dans son cagibi terrorisé.
- Je ne sais rien de la vie.
Vrai.
Il n’a pas aimé.
Il n’a pas touché.
Il n’a pas caressé.
Il n’a jamais commis d’impair.
Vie trop lisse.
Ordinaire désabusé.
Manger, dormir, prier.
- Dis-moi quelque chose que tu voudrais que je connaisse de toi.
Il ferme à demi les yeux.
Moment de quiétude.

☾ ☾ ☾

La peau abîmée, fracturée.
Celle d’Ephraïm ne vaut guère mieux.
Carcasse décomposée.
Animal à vendre.
Il a des plaies ouvertes.
Des empreintes de main.
Un quelque chose d’indescriptible.
Des hécatombes secrètes.
D’insidieuses pensées.
Des lubies exilées.
Il lâche la paume fébrile.
Il parcourt le bras de ses doigts émus.
Il tremble comme une feuille d’automne.
Il se brise au contact interdit.
C’est si nouveau.
Cette éphémère communion.
- Je veux aussi changer d’enveloppe corporelle…
Un chuchotis, une chanson insaisissable.
Ils ont des vécus fragmentés.
Qui se rejoignent.
Intrépide bousculade.
Des enfants paradis.
- On meurt demain.
Si proche de la mort, Ephraïm, en permanence.
Il la reconnaît dans la rage noire qui emporte le poing qui le soumet.
Il la voit dans les yeux rougis de douleur.
Il la voit dans chacun de ses pas.
Dans l’ombre de son chagrin.
Dans la pénombre de l’amour fraternel.
C’est une façade ce sourire qu’il a et qu’il efface.
Il n’a pas le droit.
Il ne peut pas éprouver la moindre festivité.
Il se recroqueville lentement.
- Tu te souviendras de moi quand…
Quand je ne serai plus là.
Il pourrait presque donner l’heure de son trépas.
L’aiguille qui trotte s’approche à grands pas.

☾ ☾ ☾

La main s’enfuit.
Bruissement d’ailes de papillon de nuit.
Le Blond porte donc les stigmates du Christ lui aussi.
Rejet des contacts et de cette physique attention.
L’oiseau apeuré, l’oiseau blessé.
Difficile à apprivoiser.
- Je m'égare, pardonne-moi.
Ephraïm ressent la même désolation.
Il ne faut surtout pas approcher son dos pourpre.
- Quand je partirai.
Partir pour de bon, un plan d’évasion en suspens.
Ou partir pour rejoindre le Très-Haut.
Les mains dans les poches à nouveau.
Toucher un chapelet, la croix sacrée.
Sortir la chaîne de perles blanches.
Le fer délicat.
Il le met dans la main de son homologue.
- Pour toi.
Bref échange.
Il s’embrouille si vite dans les mots qu’il demeure concis.
Un présent d’amitié.
Pour éviter les persécutions, la malveillance.
Chasse aux démons.
Prière toujours là.
Talisman de protection.
- Qui détestes-tu ? Je ne te déteste pas.
Fier de l’avouer.
Comme une litote.
Comme ce « va, je ne te hais point ».
Pour dire tout son contraire.
Il faut aimer sans relâche.
Rengaine qu’on lui a inculquée.
Toutefois, comment aimer son croque-mitaine de père ?
Comment aimer cet homme qui ne répand que le sang dans son entourage ?
Il y arrive avec peine, Ephraïm lui cherche des excuses.
- Ton plus grand rêve, c’est quoi ?
Besoin de s’éloigner des berges noires.
Il s’enfonce dans les méandres.
Il ne doit pas trop penser.
Ça l’effraye.

☾ ☾ ☾

Les ailes rabattues.
Une grimace insensible.
Il ne voulait pas l’assiéger, Ephraïm.
Loup gris.
Peine en dedans.
Couvercle qui se referme.
Il est lui aussi bocal.
Écartelé à l’intérieur.
Alter ego intangible.
Difficile de décrypter les expressions derrière ces mèches blondes.
Le cadeau est apprécié.
Chapelet qu’il tient de sa mère défunte.
Les circonstances, il n’en parle jamais.
Un souvenir concret.
Une métaphore.
Il espère ainsi qu’on se souviendra aussi de lui par ce biais.
Plus qu’un objet.
Il a les pensées floues.
Les rêves fous.
Aimer.
L’apogée.
Ce qu’il faut accomplir.
Ephraïm n’a que l’amour divin.
Il ne connaît pas les multiples formes de ce sentiment indémodable.
- Je ne suis jamais tombé amoureux.
Excursion du cœur.
Incision inconnue.
Il ne peut pas parler de ce qu’il ne connaît pas.
Crispé et détendu à la fois.
Terrain boueux.
Il glisse.
- Tu as déjà aimé ?
Ephraïm se demande si tout n’est pas complètement asséché en lui.
S’il peut encore s’ouvrir aux autres alors que s’abattent les mutilations.
S’il a encore le droit.
Il se relève sur un coude.
Trempe ses yeux plissés dans ceux de l’autre.
Deux billes cristallines.
Il a un regard goudron.
Profond.
Teinté d’émeraude.
Pierre précieuse qu’on transporte avec soi.
Pierre polie.
Qui prend la forme de la paume.
Il est beau ce garçon de minuit.
Il ne se lasse pas.
Il veut dormir à côté de lui.
Partager les mêmes songes insolites.
Les murmures diffus d’un émoi inédit.

☾ ☾ ☾

Les rêves évaporés.
La pénombre recherchée.
L’être aimé.
On en discute comme des enfants, des sages, des purs.
C’est jeune que l’on apprend l’amour et ses vertus.
C’est un élan inévitable.
Cette essence de vie.
- Je veux connaître ce sentiment. Je suis heureux de t'avoir rencontré.
Ils sont encore inconnus, anonymes.
C’est sûrement mieux ainsi.
Ne pas trop en savoir sur leurs égratignures.
Marcher en fantômes.
Côte à côte.
S’émerveiller d’étoiles filantes et de l’adoration pour Dieu.
Ravaler l’orgueil, les noirs desseins.
Une parenthèse qu’il n’oubliera pas Ephraïm.
Il est encore tôt pour lire dans les lignes de l’avenir.
Il s’enrichit de l’instant présent.
Près de cette tête blonde.
De cette peau diaphane.
Il est toujours là, à le fixer, de ses yeux de chat.
- Tu comptes dormir ici ?
Dans une agonie silencieuse.
Dans un recueillement bienvenu.
Il n’a toujours pas envie de rentrer.
Il ne dormirait pas sereinement.
Il serait au supplice.
Il entendrait son père le bafouer.
Non. Il ne veut plus y mettre les pieds.
Au moins quelques heures.
Délices des minutes écoulées dans l’herbe.
À refaire le monde.
À se réinventer.
- Tu veux bien rester avec moi…au moins jusqu’à ce que le sommeil me séquestre ?
Sourire chaste.
Il se sent en paix près de lui.
Une bulle d’air.
Et demain ?
Chronologie incertaine.
On le retrouvera étalé dans le jardin du Seigneur.
Personne ne le dérangera.
Personne pour les épier là.

☾ ☾ ☾

Aucun vent contraire.
Libres arbitres de leur destin.
Fraîcheur décousue.
C’est ça alors, d’être à contre-corps ?
Espace-temps en fragments.
Cristaux feutrés.
Chasse au trésor des yeux.
Pâleur de la nuit.
Lune qui leur octroie ce lit de verdure.
Aux enfants rois.
Pas d’amour, simples prémices d’un quelque chose de grand.
Une conquête aérienne.
On ne se dit rien.
On pense tout haut.
- Ephraïm.
La « double récompense » en hébreux.
On peut se demander si c’est de l’or ou des caresses.
- Et toi ?
S’il ne l’a pas demandé plus tôt, c’est que sa curiosité n’avait pas besoin d’être totalement assouvie.
Il voulait, mais rejetait le moment plus loin.
Comme pour garder plus longtemps un secret.
Un papillon évanescent sur la langue.
Il aime faire durer un plaisir qu’il découvre à peine.
Le plaisir frétillant de connaître un autre.
Plaisir insoutenable que l’avidité d’en savoir davantage.
Il veut rester.
Les yeux du loup se ternissent.
Il est heureux que sa requête ne soit pas refoulée.
En terre sainte.
Ephraïm se blottit contre son nuage blond.
Il est happé rapidement par le sommeil.
Le parfum d’une nuit aux accents allemands.
Sa dernière pensée : quel joli nom il porte, ce garçon crépusculaire.