"Un cimetière, c'est juste un tas de gros cailloux" - [Mingus]

pourquoi attiré par le cimetière c'est glauque les cimetières mingus sérieux tu fais vraiment tout pour qu'on parle de toi c'est pas possible ça monsieur centre du monde. mingus n'a jamais rien fait pour qu'on parle de lui s'il ne fait pas tout comme tout le monde c'est qu'il a envie de faire ces choses et qu'il considère que si les autres ne le font pas c'est leur problème et leur perte. il faut vraiment être azimuté par le système et la norme pour dire des trucs pareils. ou plutôt être coincé dans un cadre ne pas s'en rendre compte mais être quand même jaloux de ceux qui n'y sont pas. lui, il n'a pas de philosophie, pas de cadre, il a tendance à ne pas offrir de temps de réflexion à ces gens là, mais il se dit quand même et avec un peu de pitié alors qu'il déteste ressentir de la pitié que les pauvres. les pauvres de ne pas sortir des cadres. de ne pas trouver l'énergie ou l'envie de le faire. il le sait qu'il entraine dans son sillon les gens, qu'il les bouge autant qu'il.elle.s le bougent. il sait aussi qu'il ne peut pas entrainer tout le monde. et ensuite il se juge de penser comme s'il était supérieur aux gens. c'est un cercle vicieux de pensée qui se reproduit assez fréquemment en lui.
en tout cas, ouais : le cimetière. passer entre les tombes et imaginer ce qu'ont pu être ces gens qui gisent maintenant sous la terre. se demander si le jour venu quelqu'un te fera une épitaphe et si oui, laquelle. lui il se dit que la vie d'oisiveté qu'il mène depuis qu'il est à Stevenson ne lui convient pas qu'il ne peut pas comme ça errer à l'infini mais la vérité c'est que c'est ce qui lui convient le mieux. un jour quand il aura fini de se dire ça parce qu'il aura arrêté de se dire que l'oisiveté c'est de la merde c'est pour les glandus et les glandus c'est de la merde (merci maman d'avoir instauré cette pensée dans son cerveau, elle qui pourtant n'est pas la reine de la productivité), alors peut être pourra-t-il se réaliser pleinement. pour l'instant "se réaliser pleinement", il trouve que c'est une expression et une vision de la vie un peu ridicule.
avant de s'assoir il se présente quand même, il dit bonjour. bonjour william o. carter je m'appelle mingus. c'est la moindre des choses. j'ai 25 ans et on est en 1987, je sais pas si quelqu'un te tient au courant du temps qui passe alors voilà je le fais. je vois que tu es mort à trente deux ans, c'est moche. à trente deux ans en 1943. pendant la guerre. qu'est-ce que tu as vu william et qu'est-ce qui t'as mis dans cette tombe ? t'aura même pas assez vécu pour voir le débarquement pauvre vieux. bon je te fous la paix on se fout la paix ok ?
et il reste là mingus, assis sur le dernier lit de william, à reprendre ses réflexions maintenant tintée de la vie d'un autre.
il en est là quand un choc d'autant plus violent qu'il est loin en lui même vient lui courber le dos. il se retourne immédiatement, se demande william est revenu d'entre les morts ou si un de ses descendants vient le cueillir en pleine profanation. il découvre le visage circonspect d'une toute petite nana qui fronce les sourcils en le regardant. elle a plus l'air de se demander s'il va répondre que de vouloir protéger la mémoire de son ancêtre. plaît-il ? demande-t-il, un peu révolté quand même. il découvre au sol le projectile, un vieux bouquet en plastique plutôt offert par des gens qui devaient détester le décédé. il ne réfléchit plus. il en tire ce qui doit essayer d'être une imitation de rose, il relève les yeux vers cette fille compulsive fleur entre les doigts et puis silence - la fleur part - heurte très mollement la petite épaule. alors, voilà.

quand même il faut dire que ça a éveillé la connerie en lui. une bataille de fleurs en plastique moches dans un cimetière avec une inconnue, ça c'est le genre de trucs que tu ne prévois pas du tout de faire quand tu fais le programme de ta journée dans ta tête chaussettes à moitié mises au petit déjeuner. et mingus faire de sa journée des choses qu'il ne se serait pas imaginé faire au réveil, il ne vit que pour ça. même quand il avait un emploi du temps ça arrivait : la vie toujours se fraye un chemin. même encerclée de tombes et d'horaires mortifères. ce qu'il préfère, c'est se retrouver à pleurer dans une journée et se dire "je ne me serais jamais imaginer pleurer aujourd'hui quand je me suis réveillé ce matin sourire aux lèvres légèreté dans le corps". c'est souvent un constat amer bien sûr mais en y repensant toujours il se dit c'est beau de se surprendre soi même toujours.
quand même il faut dire que ça a éveillé la connerie en lui et pourtant voilà que la jeune fille s'approche et lui offre le projectile en guise d'armistice prématurée. il est tenté de refuser. si ça avait été une vraie fleur probablement qu'il l'aurait prise et mangée. mais elle s'excuse la jeune femme et surtout, elle lui parle de fantôme. d'une certaine manière il est flatté qu'on ai pu le prendre pour un ectoplasme mingus parce que chacun est flatté à sa manière. alors il accepte et prend la fleur avec la tronche d'un gamin à qui on a sincèrement dit il est beau ton dessin. il la regarde s'assoir sur beatrix willington 1895 - 1973 un peu circonspect qu'elle ne s'interroge même pas sur la personne qui lui sert de siège temporaire. puis se rend compte qu'il valide un peu sa théorie du fantôme en répondant à peu près autant qu'un revenant hé pardon ! mingus. il tend la main vers la pierre tombale sur laquelle il s'est juché à nouveau et ma fière monture du jour, William. il se demande s'il est injurieux de faire référence à un mort en tant que "sa monture", résout le dilemme en se disant que lui ça lui ferait plutôt plaisir qu'on se serve de lui après la mort comme d'un compagnon de route. métaphoriquement, ça va sans dire.
il se met par mimétisme à balancer un peu ses pieds lui aussi, en trichant puisque les siens, eux, touchent terre au bout de ses grandes cannes. il regarde dani comme s'ils étaient en plein mexican standoff cordial et se dit que décidément c'est une étrange expérience que d'arriver dans une ville aussi petite où tout le monde se connait. avant ça dans sa vie il a toujours été soit anonyme dans la foule d'une ville immense soit habitant connu du village qui voit les nouveaux débarquer. là, d'être le nouveau qui débarque change la perspective ce serait idiot de le nier. il voit bien les regards et le réflexe en lui de se justifier d'exister alors que personne ne lui demande de le faire. ils ne sont jamais hostiles, ces regards. mais ils sont systématiques et nombreux. il sent chez cette fille, cette dani, quelque chose de différent. il croit connaitre la réponse mais il demande quand même, à tout hasard. tu es d'ici ? et puis il arrête de balancer ses pieds parce qu'il doit pour ça soulever ses jambes assez haut et ça commence à ressembler à une séance de sport plutôt qu'à une rencontre.

elle est drôle cette fille on dirait un espèce de lutin des bois. de lutin de cimetière, dirait-on présentement de façon plus adéquate. son petit visage tout frais. et puis elle rebondit sur tout ce qu'on lui tend et ça c'est rare, rares sont les gens capables de suivre spontanément les autres dans leurs délires, de se mettre au diapason, de ne pas se laisser brider par la convenance et le qu'en dira-t-on. il se dit, ne la laisse pas fuir celle là, mingus. il se tortille sur sa pierre tombale comme un gamin qui connait la réponse à la question mais n'ose pas lever le doigt.
il rit. une morte qui a les boules contre les jeunes vivants, ça ferait un super sujet de film. ça existe probablement déjà, comme toute chose existe, mais ça l'amuse de fantasmer un peu sur ce scénario tout droit sorti du fin fond du washington. qu'est-ce qui pourrait lui faire plaisir à cette brave béa ? on ne peut quand même pas vieillir instantanément pour ses beaux yeux. il se lève, et pose délicatement sur la terre qui sert de refuge éternel à la vieille dame la fleur moche qu'il avait oubliée entre ses doigts. c'est l'intention qui compte. et voilà : si béa décide en effet d'aller manger des cerveaux mous, peut être au moins qu'eux deux seront épargnés. les jeunes de toute façon ne pourront jamais montrer aux vieux qu'ils ne sont pas que des jeunes cons, pas même que les vieux ne pourront montrer aux jeunes qu'ils ne sont pas que des vieux cons.
il rit encore. elle est drôle - c'est idiot de dire les choses évidentes ? pas d'ici, pas d'ici. c'est peut être pour ça qu'ils peuvent parler librement. ils sont tous deux électrons libres, là au hasard, pas tout à fait pliés aux habitudes du coin. ils sont tous les deux là pour découvrir quand les autres sont là pour vivre. il faut relancer cette ancienne coutume merveilleuse dans un bled que tu aurais fondé toi. je suis à peu près sûr qu'il y a des tas de gens qui rêvent d'abandonner les embrassades forcées. il n'en fait pas forcément partie mais il veut bien essayer par jeu. il est vrai que si on arrêtait de s'embrasser, de s'enlacer, de se dire je t'aime à tout bout de champ tout ça par rareté se ferait plus précieux. redonner leur valeur aux choses. elle marque des points à la seconde cette petite dame.
elle parle encore et concentre son attention sur ses bras. ces dessins, là, eux aussi il les avait oubliés sur son corps. il s'oublie mingus dans le cimetière. les premiers jours à stevenson il portait des manches longues pour parler d'autre chose. ça fait mauvais genre, les tatouages, c'est un truc de prisonnier. c'est peut être la première personne après sa mère à réagir positivement. à force d'évoquer sa mère mentalement aussi souvent mingus commence à demander si son oedipe n'a pas été déclenché par l'éloignement. pause. arrêt de la digression. mingus recentre son esprit sur le présent. et non ! démasqué aussi. on dirait un jeu de Collin maillard à l'envers. c'est des gens en californie. je suis pas très exotique pardon. il dit cette dernière phrase avec un accent improvisé foireux, entre l'imitation de français parlant anglais et d'espagnol parlant anglais. et toi ? c'est où, chez toi ? il caresse machinalement ses tatouages comme pour s'excuser auprès d'eux de les avoir complètement oubliés. il attend la suite du jeu.