good friday l gigi

Good Friday

fuir loin dans un endroit parfaitement inconnu ça veut dire sursauter quand on entend son nom dans la bouche d'une inconnue au beau milieu de la rue. surtout quand on a un nom pas ordinaire, quand on s'appelle mingus et qu'à part si charles de moanin' a décidé de revenir d'entre les morts il n'y a pas de doute possible c'est soi qu'on appelle. mingus se retourne presque main en l'air comme s'il avait atterri dans un hold up de western de série b et découvre un gentil visage entouré de cheveux noirs grisonnants. non, ça, c'est sûr, il ne connait pas. il ne connait pas et pourtant elle répète son nom, mingus, comme si c'était une façon de dire bonjour dans sa langue. il dit oui et son sourire s'agrandit alors que chez lui il a plutôt tendance à tirer vers le bas. mingus on ne s'est jamais rencontrés mais je suis ta tante ahbon maman a une soeur il se dit automatiquement. il a de bons arguments pour ça. d'abord connaissant ethel c'est tout à fait possible qu'elle lui ai caché une fratrie quelconque, ensuite son père étant un monsieur x barré avant même de pouvoir savoir qu'il avait engendré quoi que ce soit (avant même d'avoir remonté sa braguette même il a entendu la mère dire à une amie une fois au téléphone) il y a quand même des chances assez minces qu'une madame x étant sa soeur soit une médium capable de le reconnaitre lui mingus comme étant le fils de son frère. ahbon vous êtes la soeur d'ethel il bredouille et avant d'ajouter un mot de plus il se fait embarquer par la petite dame replète aussi brune qu'ethel est rousse. puis il boit un café fait par elle dans sa petite cuisine vieillotte. puis, toujours sans avoir pu ajouter un mot, il se retrouve dans une chambre avant un lit simple aux draps d'enfants ça ira pour l'instant on trouvera mieux plus tard et même la dame éteint la lumière en lui disant bonne nuit. il a à peu près eu autant le temps de comprendre qu'un bébé adopté du jour au lendemain par des gens qui ne parlent pas la langue qu'il a entendu depuis sa naissance. pourtant il s'endort parce que c'est mingus et que pourquoi pas. et parce que c'est mingus, il ne trouve absolument pas bizarre que cette femme fameuse soeur de sa mère ne connaisse aucun détail sur la tempête rousse qui l'a élevé. il sait qu'il a trouvé un toit et c'est déjà pas mal.

le lendemain ressemble à une gueule de bois avec option black out. il se réveille dans cette chambre inconnue qui ressemble à un flashback et il se demande pendant quelques secondes si quand il va bouger il va se sentir son corps de gamin à nouveau. mais non c'est bien sa grande carcasse qui répond à l'appel. alors, il s'habille en décidant de continuer à trouver tout ça normal, et descend avec des airs de cambrioleur qui fait du repérage. il se retrouve à nouveau dans cette cuisine vieillotte avec cette même odeur de café. cette même femme lui sert une tasse et elle est encore en train de sourire. il se demande si elle a réussi à dormir un peu ou si elle a souri comme ça non stop toute la nuit OU si elle a réussi à faire les deux en même temps et là il veut bien une petite astuce pour réussir à faire pareil. tiens voilà ta cousine ahbon aussi j'ai une cousine. il lève des yeux très écarquillés vers l'escalier où de fait des pas pas réveillés se font entendre, en train de descendre. c'est pas évident dès le matin d'avoir un monde entier qui s'ouvre et qui jusque là était totalement dans l'ombre. pourquoi ethel lui aurait caché tout ça. qu'est-ce qu'elle cache de sinistre étrangeo-bizarre cette famille pour qu'on l'en ai privé ? une chose est sûre, il n'y a pas de risque que sa mère soit prévenue de sa présence ici. si en vingt cinq ans d'existence il n'a jamais entendu parler de cette dame, il la voit mal prendre le téléphone pour appeler ethel lui dire ton fils a tout foiré et voilà qu'il tombe pile chez nous hahaha marrant non sinon toi comment ça va depuis vingt cinq ans ? et puis la terreur le prend. il se dit, si ça se trouve elle me parlait pas de sa soeur mais elle parlait quand même à sa soeur pendant toutes ces années ? peut être que c'était elle l'amie au téléphone à qui elle parlait de la braguette de mon géniteur ? peut être qu'elle l'a déjà appelée ? peut être qu'elle est en route pour venir ici ?

c'est donc dans ce climat de terreur que mingus pose pour la première fois les yeux sur cette "cousine", silhouette qui se dessine dans l'encadrement de la porte. bonjour il bredouille simplement parce qu'il sent l'opportunité d'ajouter un mot à son historique de conversation, bien maigre depuis hier.

(c) AMIANTE

il y a le bruit de la vaisselle qui s'entrechoquent et qui résonnent jusqu'à l'étage de la maison des fortune. gigi, elle est allongée ou plutôt vautrée sur son matelas, sa couette traînant pour les trois quarts sur le sol dormant encore – plus pour très longtemps.

il y a des voix qui se font entendre, des échanges inhabituelles. gigi, elle commence à reprendre vie. elle se tourne mollement, essaie tant bien que mal de s'enrouler dans sa couette mais ses mains n'arrive pas à se raccrocher à un semblant de bout de son édredon déjà trop vieux.

elle prend une grande respiration,
les sourcils se fronçent
qu'est-ce que c'est que ce bordel encore
putain, elle commence à me faire chier
son cerveau s'est réactivée à une vitesse éclair,
elle regarde le réveil posé de travers sur sa table basse
huit heures et demie
putain
gigi, elle est rentrée tard hier soir, quelque chose comme quatre peut-être cinq heures du matin alors le réveil à huit heures et demie ce n'était pas mais alors pas du tout envisageable et encore moins acceptable.

la cohabitation avec sa mère devenait de plus en plus compliqué
elle atteignait le stade 'je ne vais pas te supporter encore longtemps'
gigi, elle se frotte le visage avec ses mains tout en enfilant ses chaussons,
le pied droit,
puis le pied gauche.

elle se lève, s'étire et se dirige vers la porte,
qu'elle ouvre,
qui donne sur les escaliers
qu'elle descend
avec le pied lourd,
pour prévenir qu'elle arrive
et elle commence à ouvrir la bouche
- putain lori, il est huit heures et demie, j'peux savoir ce que tu fous pour faire un bordel pareil.
elle apparaît dans l'encadrement de la porte de la cuisine, prête à jeter ses éclairs sur la tête de sa mère quand vient s'ajouter dans son champ de vision une silhouette alors inconnu.
elle l'entend lui dire bonjour
elle tourne la tête,
lentement, les sourcils froncés
et le regard toujours aussi noir.
elle est prête à enchaîne une tirade comme elle a l'habitude de les faire mais pour la première fois de sa vie, elle reste muette
c'est comme si elle venait de se prendre une claque en pleine gueule
qu'est-ce que c'est que ce putain de bordel,
pourquoi ce mec ressemble à papa
c'est vrai que la ressemblance est assez frappante
même inquiétante
papa, ça fait trop longtemps qu'elle ne l'a pas vu
elle est presque en train d'oublier sa voix,
celle qu'elle adorait écouter le soir avant de s'endormir
et gigi, elle a son sang qui fait un tour,
le cœur tachycarde
les mains deviennent moites,
le tempes palpitantes

elle essaie de reprendre son calme,
la tête se décale pour regarder à nouveau sa mère,
- c'est qui lui encore ?
la voix assassine et la mère qui garde son sourire,
comme si les remarques de gigi, ça faisait bien longtemps qu'elle n'y faisait plus attention.

Good Friday

on ne peut pas mentir ce serait dur de mentir le lien de parenté est impossible à nier le visage qui se dessine dans l'encadrement de la porte pourrait aussi bien être celui d'une soeur cachée. c'est étrange de découvrir une ressemblance aussi prononcée chez quelqu'un de l'autre sexe. mingus est complètement pris au dépourvu devant son bol de café aux dessins d'enfants. tellement dépourvu qu'il a comme la sensation d'avoir un pantalon trop petit pour lui qui lui irait au dessus de la cheville. un gamin grandit trop vite ridicule dans ses vêtements taille dix ans. s'il avait un truc dans les mains probable qu'il l'aurait fait tomber. elle dit c'est qui lui vraiment c'est ça qui franchit ses lèvres en premier ? est-ce qu'elle a des yeux comme moi ? enfin oui clairement elle a des yeux comme moi comme les miens et justement ça elle devrait le voir comment ne le voit-elle pas. gigi soit un peu polie enfin tu vois bien c'est ton cousin. mingus. il se permet d'ajouter à toute fin utile. peut être comme pour se redonner une contenance. mais ça ne marche pas du tout il dit mingus comme il disait mingus à ses sempiternels nouveaux camarades de classe quelques jours avant qu'ils ne se mettent à lui casser la gueule. mingus regard fuyant espoir rayonnant soleil au fond des yeux. prends mon prénom et fais-en quelque chose de doux. il s'aperçoit qu'il n'y a qu'une seule chaise et se lève pour la céder à cette cousine providence. peut être que s'il avait su qu'il avait des cousins de son âge d'autres gens que sa mère dans sa famille les choses auraient été plus simples la vie autre. voir sa cousine le renvoie à la réalité de la situation. le heurte contre le mur de la réalité de la situation, plutôt. putain j'ai vraiment une famille autre qu'ethel pourquoi est-ce que ça m'a été caché ? pourquoi en ai-je été privé ? il en oublie même la possibilité que lori n'appelle sa mère pour la prévenir de la présence de son fils dans son bled. il en oublie tout. l'existence toute entière prend son focus et le réduit à une tête d'aiguille.

quelle idée nulle a-t-il eu de se lever. il se sent encore plus con debout comme un idiot avec des airs de politesse de notable de province. lori sourit elle et lui on dirait vraiment qu'ils tentent de faire une famille de pub de céréales et que gigi s'est trompée de plateau de tournage. salut je viens pour le film un peu punk des années 70 ah non pardon il va falloir mettre un peignoir à la blancheur irréprochable brandir des boites en carton et jeter la tête en arrière en riant ici. on est tellement bien tous ensemble grâce au petit déjeuner qu'on partage, hahaha hihihi hohoho ! je ne veux pas interrompre votre rituel du matin dit-il comme si cette maison et ces femmes avaient vraiment la gueule d'avoir un rituel du matin. mingus tu fais chier on était bien dans ce délire de pub céréales ! en tout cas je serais ravi de te rencontrer. il se déteste de parler en suivant le formulaire de la rencontre bien pensante, lui, mingus miller, pro voies détournées. mais il y peut rien. ce visage son visage sur ce visage. désarmé. laissé avec le seul bouclier des mots convenus. s'il avait su que lui aussi possédait les convenances injectées en lui, même lui contaminé par la mondanité, personne épargné. il sourit comme un con. il a six ans. bonjour cousine viens on va bien rigoler même que ma maman elle a installé une balançoire dans le jardin et pas toaaa.

(c) AMIANTE

la politesse est l'une des choses dont s'abroge, gigi. pourtant, on lui a appris à dire merci et s'il te plait mais à croire qu'avec le temps elle en a oublié les principaux rudiments.
et un samedi matin, aux premières heures du jour – vous n'aurez pas de doux sourire
parce que la hargne est reine.

gigi, elle répète vulgairement les mots de lori,
- mon cousin ?
tu débloques ou quoi ?qu'est-ce que t'as encore fait lori pour te foutre dans la merde.
parce qu'elle y croit pas une seconde à cette histoire de cousin, gigi
d'où ça sort ?
des cousins, elle en avait une ribambelle mais aucun comme celui-ci
parce que les fortune, elle sait les reconnaître
tu parles, tu reconnais rien du tout gisèle.

oui, tu sais c'est le fils d'ethel
non, j'sais pas – et j'sais pas qui est ethel non plus
gigi, elle est déjà fatiguée alors qu'elle vient à peine de s'réveiller
elle commence à ne plus avoir la force de gérer les délires insensés de sa mère

et le regard de gigi vient s'poser sur 'mingus'
mingus
ouais, bon
et elle a ce regard qui le scrute de haut en bas,
il est grand, trop grand d'ailleurs
et la voix est trop grave
mais qui c'est ce putain d'mec, qu'est-ce qu'il fout ici : dans sa cuisine, dans sa maison
et gigi, elle prend pas la peine de s'présenter
elle lève juste un sourcil
qu'est-ce qui fout encore ? pourquoi il s'lève ?

elle a les yeux qui s'emplissent de méfiance,
parce qu'elle lui fait pas confiance
à c'grand dadais
c'est pas parce qu'il était lui,
gigi, elle est méfiante avec tout l'monde
par principe

elle lui tourne autour comme pour l'éviter,
pour ne pas trop s'approcher malgré la promiscuité inévitable d'une cuisine trop étroite pour eux
gigi, elle préfère l'ignorer quelques instants
pour mieux réfléchir
parce qu'elle est déstabilisée
parce qu'son cerveau est en train de vriller
putain, mais pourquoi ce mec me ressemble ? franchement, je ressemble plus à ce mec qu'à ma propre sœur – QU'EST-CE QUE C'EST QUE CE BORDEL PUTAIN ! - attend peut-être qu'j'suis encore bourrée, peut-être qu'j'rêve
et gigi, elle se tape les bras vivement pendant quelques secondes marmonant un 'réveille-toi'
elle a l'air conne mais si elle est dans un rêve, ça n'a pas de réel importance
sauf qu'elle se réveille pas,
parce que c'était bien réel
cette cuisine, sa mère au sourire heureux et c'gus

elle attrape une tasse qui traîne au bord de l'évier avant de la remplir de café,
déjà un peu trop tiède
mais tant pis,
elle allait l'boire quand même

elle s'retourne s'adossant contre le plan de travail
le regard soutenu en direction du soi disant cousin
dont le sourire est bien trop grand au goût de gigi
elle le laisse parler de rituel du matin, d'être ravi de la rencontrer
elle a envie de l'arrêter
de le calmer
gigi, elle compte pas devenir pote avec lui
elle le connaît pas
franchement
pourquoi faire ?
et le truc de c'est la famille, bullshit
pas quand on a jamais entendu parler d'une personne
non, non, non

elle boit une gorgée du café dégueulasse de lori,
qu'elle s'empresse de vider dans l'évier
parce qu'en fait c'est pas possible
- il est merdique ton café
parce que gigi, elle est méchante, qu'elle le fait exprès d'rabaisser sa mère devant l'inconnu
parce qu'elle cautionne pas cette mauvaise surprise
et gigi, elle compte bien lui faire payer
sale enfant gaté

et puisque sa mère a décidé de rester muette, gigi brise le lourd silence de sa voix colérique
- on peut savoir c'que tu fais là, gus ?

gigi, elle attrape la cafetière pour y venir mettre du café
parce qu'elle a réellement besoin de quelque chose pour la réveiller
elle jette des regards en coin vers mingus
- tu t'es levé parce que tu partais ?
franchement j'te retiens pas
- ou parce que tu pensais qu'on allait s'enlacer ?
jamais

Good Friday

on interrompt le programme pour un nouveau flash news : tu as bien une cousine jusqu'à présent insoupçonnée mingus, mais elle est vraiment plutôt méchante. il a pas fort envie, mingus, de dès le matin courir après une peste faire des efforts pour quelqu'un qui ne veut pas savoir que tu existes. mais d'une part il perçoit bien que quelque chose ne tourne pas rond dans cette situation, et d'autre part il est trop délicat pour envoyer péter lori qui l'a accueillit sous son toit cette nuit. c'est pas un homme à esclandres à coup de gueule à emmerdement maximal. il est plutôt du genre à s'effacer dans un coin, disparaître en moonwalk discret, fuir à l'anglaise quand une situation ne lui convient pas. il annule, ouais : annule les situations qui ne lui conviennent pas. il est ravi d'avoir pudiquement ignoré la robe de chambre que lori lui avait posée sur une chaise dans sa chambre de fortune. tout à fait la situation pourrait être pire : il pourrait être en robe de chambre, en plus. habillé il a tout ce qu'il faut sur lui pour fuir dès que l'occasion se présente. son regard glisse doucement vers la porte d'entrée qui n'est pas si loin. il bénit l'architecture des modestes maisons américaines.
le conflit familial qui se déroule sous ses yeux, ça il le sait, ça ne le concerne pas. il a eu assez à faire dans sa vie avec ses propres conflits familiaux avec sa propre mère. ce qu'il retient en revanche, ce qui l'intrigue, c'est que gigi semble tiquer quand elle entend le nom de sa mère. c'est clair, ça se voit dans ses yeux qui font pareil que les siens quand il entend un truc dont il n'a jamais entendu parler. elle n'a jamais entendu parler d'ethel, il n'a jamais entendu parler de lori. leur voici enfin un point commun au-delà du physique. voilà quelque chose qui l'éloigne de la porte, du dehors, de la fuite perpétuelle. que s'est-il donc passé pour que les deux hypothétiques soeurs se suppriment de la vie l'une de l'autre ? quel terrible secret quand la femme qu'il a en face de lui ne lui semble pas si différente de sa propre mère ? il en vient à vouloir décrocher le téléphone lui même pour appeler. qu'est-ce que c'est que cette merde ethel qu'est-ce que tu m'as fait ?
bien sûr il y a la possibilité que tout ceci ne soit qu'un vaste mensonge. mais là encore, dans quel but ? pourquoi se faire passer pour sa tante ? comment connnait-elle le prénom de sa mère ? pourquoi gigi est son portrait craché ? et pendant que lui planté là passe en revue tous les scénarios dont son imagination est capable sa "cousine" elle virevolte dans toute la petite étendue de la cuisine, jette le café, insulte sa mère, fait du café, parle, parle encore, lance la cafetière. tout va trop vite, beaucoup trop vite. elle parle. à lui ? oui elle parle à lui. gus. il se rabroue, rembobine la cassette, analyse, répond. je suis arrivé hier. je n'avais jamais entendu parler de toi et de ta mère non plus. est-ce que ça va réussir à la calmer, lui faire comprendre qu'elle n'est pas seule à avoir une pièce du puzzle en moins ? rien n'est moins sûr.
partir oui, son corps est encore fort attiré par la sortie. tiraillé entre la porte et l'envie de résoudre l'énigme. son épaule a dû tourner vers l'entrée sans qu'il s'en aperçoive puisque la main de lori s'y pose fermement. assieds-toi. voix tout aussi ferme. gigi arrête de t'agiter assieds toi aussi. elle cède la place à sa fille. mingus ne les connait pas mais est capable de percevoir que jamais la mère n'a parlé ainsi à sa fille, d'un ton sans appel. j'ai rien demandé moi je veux importuner personne je comprends pas. il dit, gamin acculé dans ses retranchements. il regarde gigi du coin de l'oeil et tout d'un coup, à être rabroués par la même personne, ils se retrouvent dans le même camp.

(c) AMIANTE

pendant l’espace de quelques secondes, gigi songe à aller se recoucher pour éviter la tragédie qui semble se jouer sous ses yeux. dans le mélodramatique, elle avait déjà trop donné peut-être parce que parfois, elle aussi se la jouait drama queen réagissant plus que nécessaire au situation de la vie.

se donner en spectacle est monnaie courante chez les fortune, aussi loin que cela puisse remonter il y a toujours eu des scènes de ménage dans les rues de stevenson. il y avait quelques histoire de famille qui avaient finies par leurs échapper et être déformer par les commérages des rues bruyantes. on ne sait plus vraiment à quand remonte l’acquisition du cinéma de la ville, mais assez longtemps pour n’avoir connu personne d’autres à sa tête. les fortune règne en maître sur le divertissement populaire. s’orienter vers le cinéma est loin d’être une coïncidence. ils avaient déjà dans le sang où alors c’est le septième art qui les a rendus comme ça. allez savoir.

gigi ne ressent donc aucune gêne à s’exposer de la sorte devant un inconnu, qui de toute façon semble faire parti de la famille - autant qu’il s’y habituer
welcome in the fortune family!
il vient de s’embarquer dans une aventure, gus à laquelle il n’était probablement pas préparé. gigi prend soin de lui offrir sur un plateau un hors d’oeuvre de qualité.

(je suis arrivé hier. je n'avais jamais entendu parler de toi et de ta mère non plus.)
tu viens de gagner une famille dysfonctionnelle, j’espère que cela te plait.
gigi n’arrive pas à détacher son regard de mingus parce qu’elle cherche le visage de son père secrètement. il n’avait jamais entendu parler de lori et de gigi - au moins un point commun qu’il partage donc. parce que surprise, la seule personne dans cette pièce qui semble trouver tout cela normal n’est autre que lori. qu’est-ce que tu as encore fait lori? gigi ne se détend pas pour autant, l’amadouer s’annonce plus compliqué. gigi ne peut s’empêcher de penser qu’il semble légèrement paumée le gus. peut-être qu’il dit la vérité après tout, peut-être qu’il veut rien, que tout ça lui ait tomber sur le coin de la tête.
et donc tu vas me dire que tu es arrivé à stevenson, par hasard?
la suspicion ne s’est pas dissipée.

elle verse le café dans la tasse qui est posée sur le plan de travail. elle n’en propose pas à gus, ni à lori, expression d’un égoïsme certain.
lori ordonne à gus de s’asseoir, c’est nouveau ça et très vite gigi est victime elle aussi de sa soudaine autorité dont elle avait arrêté de faire preuve depuis un long moment.
(gigi arrête de t'agiter assieds toi aussi.)
elle lève la tête lentement, le regard noir.
pour qui tu te prends? pour ta mère, gigi, pour ta mère.
- j’te demande pardon ?
elle ne compte certainement pas se faire donner des ordres comme ça. depuis le départ du père, gigi avait immanquablement envahi l’espace que son père avait laissé dernière lui. ce n’était pas son rôle mais personne n’a eu la force de la faire reculer, de la remettre à sa place. gigi agit depuis comme une petit chef parfois tyrannique.
(assieds toi et tout de suite)
les sourcils n’ont jamais été si haut, un soufflement arrogant s’échappe de sa bouche. et aussi surprenant que cela peut être, gigi obtempère bruyamment : le bruit de la chaise qu’elle recule violemment, le choc de la tasse quand elle rencontre la table, les poings de gigi qu’elle fait résonner sur la table
(j'ai rien demandé moi je veux importuner personne je comprends pas.)
il donne l’impression d’avoir fait une bêtise, tout comme gigi. de loin, on dirait des frères et soeurs prêts à se faire engueuler par les parents à cause de leurs mauvaises conduites. le regard de gigi oscille entre lori debout prête à faire une tirade et mingus qui a l’air hébété
- en fait, c’est pas drôle, c’est même super lourd donc est-ce je peux savoir ce que t’as encore foutu? et j’espère pour toi que c’est pas grave parce que j’dois aller bosser dans…
elle jette un regard vif à l’horloge de la cuisine
- … trois heures et qu’après le coup de la dernière fois, moi j’vais arrêter d’aller te sauver la mise parce que j’en ai marre de toi…

(GISÈLE, TU VAS LA BOUCLER MAINTENANT)
lori vient de lui couper la parole violemment et gigi se met soudainement en silencieux. non pas parce qu’elle lui a hurlé dessus mais parce qu’elle l’a appelé gisèle. personne ne l’appelle jamais gisèle, même pas sa mère. gigi, ne regarde même pas mingus parce qu’elle ne veut pas voir sa réaction.
gisèle, quel fiasco mes enfants.
(puisque tout le monde écoute, j’vais pouvoir parler. c’est une histoire un peu délicate mais quand vous l’aurez entendu vous comprendrez…)
gigi, elle ne se sent pas concernée par la discussion. se faire engueuler, ça va deux minutes. elle reste silencieuse mais pas inactive. elle se sert rapidement des céréales dans un bol avant d’y ajouter du lait. elle mélange l’ensemble de trois coups de cuillère avant d’en avaler une première bouchée.
lori jette un regard désespéré par le bruit des céréales dans la bouche de gigi mais continue son monologue
(les enfants, bon j’vois bien que cette histoire de cousin ça vous secoue pas mal.. enfin secouer… bref.. vous savez la vie est parfois pleine de surprise. parfois on pense savoir et finalement on se rend compte que non, on ne sait pas… donc en fait j’ai quelque chose à vous dire… sur cette histoire de cousin qui semble vous secouer… qu’est-ce que je voulais vous dire déjà?)
gigi, elle regarde sa mère raconter un charabia incompréhensible.
- tu peux abréger s’il te plait? j’ai pas ton temps en fait.
lori, elle regarde un peu dans le vide, comme si elle se parlait avec elle-même. probablement qu'il se passe un grand débat dans sa tête actuellement et puis elle lâche sa bombe.
(oui bon, ben... voilà vous avez l'même père.)
à peine elle venait d'avaler une gorgée de lait qu'elle ressortait par le nez venant inonder la table du petit-déjeuner
- qu'est-ce que tu viens dire? j'crois que j'ai pas bien entendu, là quoi?
elle se lève de sa chaise, les poings sur la table prête à se jeter sur sa mère,
la tête se tourne vers mingus d'un geste rapide, le regard presque inquiet
- qu'est-ce qu'elle vient dire? t'as entendu ce qu'elle vient de dire?

Good Friday

plus la situation avance, plus il a une sorte de syndrome de déréalisation qui se met en place en lui. comme un filtre chloreux qui se met dans ses yeux entre ce qu'il voit et ce qu'il est. il est presque comme au cinéma, mingus, à regarder un espèce de film hyper réaliste et immersif. il essaye vainement de participer mais ses talents d'improvisateur plutôt mediocre ou ses partenaires de jeu trop imposantes l'empêchent d'être vraiment impliqué. il regarde et il pourrait parler plus ou parler moins ça ne changerait pas grand chose, les dés sont comme jetés d'avance. s'il se mettait à chanter à danser, ou même s'il partait comme il en caresse encore l'idée, ça ne changerait pas grand chose. il n'a pas de poids dans cette maison.
gigi obéit à sa mère physiquement mais n'en reste pas moins impertinente et indomptable. soit elle est en train de faire une crise d'ado tardive, soit sa crise d'ado est finie et dans ce cas qu'est-ce que c'est que ce caractère de fouteuse de merde, et qu'est-ce que ça devait être quelques années plus tôt ? il juge rarement, mingo, mais force est de constater que si lui n'a aucun effet et ne fait pas avancer les choses, elle elle met carrément des bâtons dans les roues de la situation. elle est contre tout. le plus important est d'entendre résonner sa voix. mingus se dit, si dans dix minutes on n'a pas un peu avancé je me casse. cette situation lui est insupportable, inconfortable sans qu'il ne sache vraiment pourquoi. peut être est-ce à cause de cette demie implication, de ne rien pouvoir faire mais d'être quand même au centre du problème malgré tout.
il essaye de déceler dans leurs échanges hargneux des informations qu'il pourrait grapiller au passage. que leur relation soit compliquée, ça, il avait plus ou moins déjà saisi. elles ne sont pas dans une dynamique à se faciliter la vie l'une de l'autre. non seulement il l'avait saisi mais il peut s'identifier à ça, il peut y identifier ethel et lui. et si lori ne nage pas en plein délire, et comme elle connait le nom d'ethel tout ne doit pas être complètement faux, il n'est pas incohérent que ces couples mères-enfants se ressemblent, puisque les mères sont soeurs.
soudainement lori dit gisèle et mingus sent un changement palpable d'atmosphère. il a un peu envie de rire parce que qui s'appelle gisèle et parce que ça lui ferait du bien là un peu de relâchement de nerfs dans un truc aussi tendu (c'est ça, en fait, qui le trouble : il n'a pas l'habitude d'être dans des situations de tension pareille, il n'y est pas bon, son grand corps ne sait pas supporter ça). mais il serre très fort ses lèvres parce que lori enchaine, cette lori dont il a cru comprendre dans les propos de gigi qu'elle avait une tendance au fantasque, peut être à la mythomanie. elle prend ces airs de grande personne qui va raconter une histoire. si mingus avait un peu plus l'expérience de la famille il saurait qu'elle a l'air de celle qui va enfin avouer un secret de famille bien lourd. d'ailleurs c'est une chose que l'on fait si rarement, avouer ce genre de choses, qu'on attend tellement longtemps de pouvoir faire, que la mère s'embrouille dans ses mots, se casse un peu la gueule à mi phrase, fait un nombre de détours impressionnant comparativement aux phrases qu'elle utilise.
il a une envie fantastique de mettre sa main sur la bouche de gigi qui trouble sa mère en l'interrompant. il a tellement envie que la phrase qu'elle brûle de dire sorte, et tellement peur qu'elle ne réussisse pas à la sortir si on l'interrompt. mais elle la sort, sa bombe. elle la sort quand même. implacable. gigi crache son lait par son nez, mingus oublie momentanément de respirer et reste là immobile comme si on avait mis pause sur lui dans le film immersif. de l'extérieur il est possible que ce soit flippant, il a peut être bien l'air d'avoir fait un AVC.
la seule chose qui le réveille de son soudain état de veille c'est gigi qui cherche une connivence avec lui. maintenant qu'ils ont une sorte d'ennemi commun elle cherche à faire copain copain. en levant ses yeux embrumés vers elle pour comprendre, pour répondre, pour lui dire que sa mère raconte n'importe quoi, il s'aperçoit que les mots aussi lui ont été enlevés. parce que le visage que ses yeux rencontrent, encore une fois, impossible de le nier : il est trop proche du sien. on est frère et soeur il s'entend dire d'une voix blanche. il a besoin de le dire, besoin de s'entendre le dire, ça ne veut pas dire qu'il y croit encore totalement. c'est aussi abstrait que de balancer un cours de physique appris par coeur. t'as l'info, tu peux la ressortir, ça ne veut pas dire que tu l'as digérée. mais comment ? il demande ses yeux s'éveillent et cherchent activement le visage de lori qui ressemble si peu à celui de sa mère. il voudrait articuler des hypothèses de ménage à trois, de fille cachée d'ethel, il voudrait chercher avec implication mais son corps semble avoir été injecté d'anesthésiant pour chevaux. c'est trop. ta mère et le père de gisèle enfin ta mère n'est pas ma soeur. mais elle c'est ta soeur. est-ce qu'elle a bu une bouteille de whisky et fumé un pétard pendant les trois secondes où il a regardé gigi ou quoi ? si ce qui se conçoit bien s'énonce vraiment clairement alors elle raconte n'importe quoi. c'est sûr, elle ment. il se tourne à nouveau vers gigi et à nouveau ses traits le heurtent. à chaque fois qu'il regarde la mer il se dit qu'elle ment à chaque fois qu'il se tourne vers la fille il devient compliqué de maintenir le déni.

(c) AMIANTE

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