candy - - - ISOLATED SYSTEM

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les mains s'agitent sur le petit carnet pour commander ; les mots qui ne résonnent pas, pourtant indélébiles sur le papier jauni par les années. derrière le comptoir, pas de surprise. la gamine, avec son petit uniforme, signe même le "je t'amène ça tout de suite" qu'elle énonce habituellement à voix haute. parce qu'elle est douce, la serveuse. elle connait lou. elle l'a vue chanter des symphonies avec le bout de ses doigts, et ça depuis des mois, alors elle a appris, elle aussi, quelques chansons. pour que lou se sente à l'aise. c'est gentil. c'est pour ça que lou revient. c'est pour ça qu'elle ne prend pas son petit-déjeuner avec elle, dans la forêt. elle aurait fait ça, avant. mais ça fait longtemps, maintenant... alors elle essaie. elle essaie, lou, de ne plus être aussi effacée. elle attend là, sur la petite table devant l'entrée, la seule qui n'est pas encore volée par un attroupement d'adolescents. elle attend, sans trop faire attention au reste des gens. elle se dit que peut-être, si elle ne regarde pas, ils ne la verront pas, coincée là, sur sa banquette.

c'est la seule table libre, we can share

Il joue avec le bracelet - des perles que Candy trouve décidément jolies, parce qu'il aime ce qui brille. Au mieux, le bijou est légèrement de mauvais goût. Au pire... C'est pas bien, il le sait. Pas bien, de laisser traîner ses doigts fins tout prêt des sacs des mégères qui peuplent l'église le dimanche. Comme des mésanges, elles piaillent, picorent, gloussent à l'unisson... Candy, quant à lui, est une pie solitaire dont le regard se réveille au moindre éclat un peu obscène. Madame Richards range systématiquement son joli bracelet de nacre avant de pénétrer le temple. Elle a un début de parkinson, alors, elle ferme mal son sac. Laisse la fermeture entrouverte, assez pour qu'un œil aiguisé y devine les contours d'un objet de valeur, pour un index ne s'y glisse - oh, pardon, Madame Richards, j'ai trébuché - et que Candy commette son petit forfait en toute impunité.

Il a toujours la dalle après la messe - quelque chose à propos de Dieu lui déchire l'estomac, est-ce de la faim ou du simple doute, Candy n'en a cure. Mais que dirait Jésus en le regardant s'empiffrer comme un ogre ? Ben... il n'est pas là pour répondre à la question, non ? Il visse ses fesses au comptoir et commande - il n'aurait presque pas besoin d'ouvrir sa bouche, la serveuse aux traits juvéniles sait parfaitement que Candy Allen commande sempiternellement un café long et des pancakes au miel. Pas de sirop d'érable, précise t-il avec une grimace fugace. L'oiseau de proie tourne la tête à droite, à gauche; croise les délices d'un visage connu.

Demoiselle qui relève à peine la tête alors qu'il se pose sur le banc en face du sien.

- Ce qui est cool avec toi, Lou, c'est qu'on s’embarrasse pas des politesses inutiles... marmonne t-il, avec son attitude ostentatoire de mec cool.

Insupportable.

- Tend ton poignet, ordonne t-il gentiment, en agitant l'objet de son larcin.

Lou est un oasis dans ce café qui semble régurgiter un million de paroles entremêlées les unes dans les autres.

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les grands yeux quittent la fenêtre pour se poser sur le garçon. candy. un sourire se trace, comme un route, comme une destination, comme un lieu où on peut se reposer tranquillement. elle a les lippes voyageuses, lou. des sourires qui donnent des envies d'ailleurs. elle a des airs d'étrangère, lou, avec ses grands yeux qui ne disent rien. les mains dansent dans les airs, avec candy. suffisamment lentement pour qu'il puisse en comprendre le sens. elle leur a appris. c'était plus facile de communiquer comme ça, dans la forêt. " tu peux quand même dire bonjour. " les mains sont agiles, rapides, délicates. mais elles ont une certaine prestance, une espère de force -- lou, on l'a connue encore plus sauvage. les premiers mois après le début du silence, elle se battait tout le temps. pour rien. elle avait les poings bruyants, les cris stridents. le coeur lourd, les coups forts. elle avait tellement de rage, lou, et personne ne savait pourquoi. ce genre de colère, ça ne disparaît pas, ça ne disparaît jamais vraiment.

les yeux glissent sur candy comme de l'eau sur la roche. elle ne s'agrippe pas, mais y laisse sa marque. il sait qu'il est vu, il sait qu'il est reconnu. on ne lui cache pas grand-chose, à lou. alors quand l'ordre est donné, elle répond par un sourcil haussé. gamine amusée, l'air de dire, ah bon? vraiment? elle demande d'abord, l'air innocent : " il sort d'où, ton bijou? " mais c'est vrai qu'il est joli. tellement joli qu'elle se rappelle l'avoir aperçu, par le passé. c'est juste difficile de se rappeler. cela fait longtemps. lou oublie, maintenant, les détails des vies des gens. c'est la distance, c'est le fracas des jours qui passent trop lentement. elle oublie. mais peu importe -- une fois la question posée, elle s'exécute. sereine. le poignet tendu, offert, à candy.

en compagnie d'autres garçons, elle aurait sans doute gardé son poignet près de son corps, prêt à se faire poing. sur la défense. mais candy, il a été un phare au milieu de la tempête, les mots rares, justes, brillants. il comprenait ce que son corps essayait d'hurler et il n'exigeait pas plus. leurs silences ont été les premiers moments de paix qu'elle a vraiment connus ; elle n'avait pas besoin d'incarner un faible reflet du passé.

D’un point de vue extérieur, on pourrait penser qu’il s’agit d’un couple qui prend tranquillement un café, à l’abri des regards, si ironiquement, deux jeunots protégés dans leur petite bulle, épargnés par les messes basses et les vieilles peaux qui les épient de toutes parts. Lou et son joli sourire aux allures de road-trip – lance toi, qu’il crie – Candy et le bracelet qui pend aux bouts de ses doigts fins. Soudain, les yeux en amande du jeune homme se plissent, du rose s’accumule dans les coins ; maquillage ou traces de fatigue ? Merde. L’a encore oublié. Il est tellement habitué, que parfois, il oublie de signer. Il pourrait le faire, mais il aime répondre à son amie en mimant des gestes qui leur appartiennent. Un moyen de garder leurs échanges secrets, à la vue de tous. De stimuler les murmures.

Candy adore ça, les murmures.

Deux doigts couverts de miel viennent épouser sa bouche – il se les lèche en même temps – avant que sa main ne glisse lentement vers la table (bonjour) c’est gauche, mais c’est l’effort qui compte. Cela pue l’ironie, aussi. Candy n’est pas plus gentil avec Lou parce qu’elle ne cause plus. A la limite parce que c’est son amie…

Lou lui pose la question qui fâche et Candy lui répond par un sourire sibyllin – celui de Mona Lisa – qui signifie clairement : ma douce, pourquoi tu poses la question ? Lou sait très bien, que Candy éprouve ce besoin millénaire de s’emparer de ce qui n’est pas à lui, surtout quand ça appartient clairement aux autres. Elle ne nomme ni ne juge ni ne s’en insurge, par contre, elle s’en amuse.

Candy signe :

- De nulle part. Pourquoi tu veux savoir ? Le mystère c’est tellement mieux.

Simule un baiser, à 45 centimètres de distances. Une vieille femme qui les fixait, détourne la tête en grimaçant.

Le poignet s’offre à lui, élégant et cuivré. Candy relève légèrement une manche longue qui occulte la chair et glisse le bijou le long des rivières sanguines. Son doigt glisse sur la peau comme s’il en avait toujours été ainsi. Lou et lui jouissent d’une intimité toute particulière. Celles des animaux qui grognent pour se faire entendre, se partagent un bout de terrain et un poisson en guise de paix déguisée.

- Il te va très bien. Tu veux le… garder ?

Candy s’est sans doute planté dans le signe, il espère que Lou le comprendra.

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candy, candy, candy. le rêve de toutes les jolies filles. lou, elle les entend susurrer, parfois, diable, ce qu'elles ne feraient pas pour l'attraper. c'est qu'il a tout ce qu'il faut, candy, avec ses silences et ses airs de mystères. on ne sait jamais, avec lui, ce qui est vraiment en train de se passer. on ne sait jamais à quel point on va s'planter, avant de parler. c'est l'instant éternel avant l'impact, où on se sent maître, où on se sent roi. il lui fait penser à ça, candy. au moment où on perd le contrôle, cet instant éphémère qui dure des années, cet instant de liberté, où on n'existe qu'à moitié. où on s'fond dans le temps, plus vraiment nous, pas vraiment autre.

il a des grandes mains, candy. lou, elle les a touchées. elle prend la gauche dans la sienne, parfois, quand ils sont dans la forêt, ou quand il vient pêcher. elle aime bien le contact ; puis quand elle dort, lou, elle les voit tous dans les bois, dans la pénombre, et quand ils disparaissent un à un dans le mensonge qui avale tout le monde, candy est le dernier, candy agrippe si fort son poignet qu'elle se réveille la main toute engourdie. ça la rassure. si l'monde sombrait, elle sait qu'il serait là, qu'elle pourrait s'agripper, qu'il ne la lâcherait pas.

" tu vois, c'était pas si difficile. " elle signe en retour, précise, efficace. sarcastique, un peu, aussi, dans ses gestes. le coup sec du poignet, la lenteur des mouvements suivants, presque caricaturale. il faut dire qu'avec candy, c'est toujours la même histoire ; lou pose de vilaines questions que personne n'entend et candy n'y répond pas. il sourit. ça, il le fait bien, il le fait souvent, il le fait pour tout le monde. mais lou est spéciale ; lou a ses propres secrets. candy le sait, pas vrai? c'est pour ça qu'ils sont tous à la recherche de l'arbre. parce qu'ils sont mystères, mensonges. on n'cherche pas de faveur sans être plein de regrets. chercher dieu, c'est chercher l'absolution. l'arbre est un prétexte pour leurs désillusions ; tous paumés dans leur délire ésotérique. mais elle est là, l'histoire. elle est en candy, elle est en lou. c'est pour ça qu'ils se comprennent, au-delà des mots, au-delà des signes.

" parce que si je récupère ton bijou, j'voudrais pas qu'on m'pose des questions. " elle signe de petits gestes, comme un murmure, avec un sourire au coin des lèvres, bien caché, comme un secret. elle ne sait pas vraiment, lou, où candy va trouver tout ça. mais elle sait où il habite. elle sait qu'il ne fait jamais les magasins. puis au fond, elle s'en fout un peu, lou. c'est pas comme gigi, qui s'inquiète, qui s'demande s'il va pas s'abîmer, à faire tous ces méfaits. lou, elle assiste en silence. lou, elle a vu bien pire.

elle tend le poignet et candy y glisse ses doigts, expert. le bijou, aussi. joli. pas vraiment le genre qu'elle porte d'habitude, car les siens, c'est maman qui les fait, avec les pierres trouvées, les mystères déterrés, le fil de pêche de papa. celui-là, il est beau, et il vaut surement plus que tout ce que lou porte à l'instant. il brille. c'est surtout ça qu'elle voit, lou. le joli reflet des perles nacrées contre la peau plus foncée. elle hésite. elle relève les yeux. un silence.

" tu ne veux pas le garder? " elle rétorque, les sourcils froncés, corrigeant légèrement le signe maladroit. mais ce n'est pas pour ça, l'air renfrogné. c'est plutôt l'air de dire, pour toi. parce qu'elle sait que candy est magicien ; qu'il transforme les objets trouvés en pièces sonnantes et trébuchantes. et ce n'est pas comme s'il n'en avait pas besoin. ces derniers temps, ils manquent tous un peu d'argent. " il est vraiment beau. " et elle hausse les épaules, un sourire qui fleurit sur les lippes rosées.

Candy simule un air vague et innocent, c’est un visage à marée basse, soi-disant à découvert qu’il offre à son amie pour picorer – qu’elle devine ce qu’elle veut, cela ne changera rien au fait qu’il n’est rien d’autre qu’un prestidigitateur et Lou, le public conciliant qui détourne le regard au moment crucial du tour de magie. De ses grands yeux il la regarde et ça dure des siècles, jusqu’à ce que Lou lui offre son petit sourire amusé, celui qu’il attendait. Avoir de grandes mains est pratique lorsqu’il s’agit de signer ; Candy a été étiré tout le long de sa puberté, comme si on l’avait oublié dans la machine à laver, alors, forcément, ses mains ressemblent à des battoirs lorsqu’on les compare à la finesse de son torse ou encore de ses jambes.

Les grandes mains sont comparables à des grandes gueules, dans ce contexte. On s’y plonge, elles prennent de la place, on les écoute même quand, dans le cas de Lou et Candy, tout n’est que silence ouaté.

- Tu sais que j’aime bien entrer dans le vif du sujet…

Comme Lou, Candy a dû apprendre à exprimer ses ressentis dans des gestes qu’il jugeait auparavant totalement impersonnels. Cela n’avait pas été une mince affaire. Une histoire de vitesse, de cadence, d’amplitude. Tout pouvait se doser afin de transmettre l’ironie, l’agressivité, la douceur… Bien entendu, certains gestes n’avaient qu’une seule et même variante, mais il subsistait souvent plusieurs sens de lecture avec le jeune homme.

Et la gosse Arnezeder le savait mieux que personne.

- Pourquoi on te poserait des questions ? T’es une jolie fille à qui on a offert un joli bijou… rien de mystérieux !

Lou femme silence, est à vrai dire assez hypnotique pour le foutre en transe, au point de ravaler ses remarques amères et de se mettre en quête d’un arbre sempiternel qui exaucera leurs vœux les plus secrets. Et les branches, auxquelles il espère pouvoir se raccrocher… seront-elles suffisamment solides ? Candy n’en a aucune idée.

- Pourquoi faire ? Jt’assure, j’ai déjà beaucoup de choses qui brillent… Mais si ça ne te fait vraiment pas plaisir, je peux le donner à Maman. Ou à Gigi.

Candy ne voit pas vraiment pourquoi il garderait l’objet. Celui-là, il a envie de l’offrir, de faire plaisir, pas de le sacrifier contre quelques dollars – d’autant plus que prendre le bus jusqu’au dépôt-vente le plus proche, c’est long et ça coûte une blinde… Candy Allen est un bon gestionnaire, il sait rentabiliser ses allers-retours. Qui plus est, il a bien vu le regard de Madame Richards quand celle-ci a dissimulé le bracelet dans son sac : un air un peu peiné, comme si elle souhaitait ne jamais le quitter. Outre les dollars qu’elle avait dépensés, quelque chose de plus profond la liait au bijou, mais quoi donc ? Un souvenir ? De l’amour, peut-être ?

- Tu faisais quoi, là ?

Cela l’étonne, de la croiser ici. Lou n’est pas du genre à se montrer en public. Ce n’est pas une créature urbaine et lorsqu’elle s’aventure hors de sa douce forêt, elle rase les murs. Le jardin secret de son amie semble s’étendre des grands lacs jusqu’aux montagnes, en passant par les champs en contrebas. Alors, il pose la question, ne s’attend pas à une réponse originale, quoique, avec elle, on peut toujours être surpris.

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